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notre exode à Ravello… Claude sera content… Angelo sera fâché… Qui sait ?… Il est peut-être moins amoureux qu’il ne croit… Oh ! que tout cela me fatigue !… »

Parfois elle s’imaginait, très sincèrement, qu’elle était malade, parce qu’elle avait perdu le goût du travail, parce qu’elle était curieuse de petites sensualités innocentes… La saveur des fraises, le parfum des roses, la caresse de l’air tiède sur ses bras nus éveillaient en elle une sensibilité nerveuse qu’elle ne connaissait pas… Ses nuits, éclairées et frissonnantes de songes, la laissaient sans énergie pour le lever matinal.

À cette heure blanche où le sommeil, amant aérien, s’attarde et palpite sur le corps qu’il possède, Marie se laissait engourdir par une langueur inconnue. Elle était comme abandonnée au courant d’un fleuve de lait, dans un brouillard blanc, dans un silence de limbes. Des formes confuses flottaient, images de ses désirs incertains, et se précisaient en figures délicieuses qui avaient beaucoup de Claude et un peu, très peu, d’Angelo… Et le passé, le mariage, la maternité, le demi-veuvage, la réclusion volontaire, s’anéantissaient dans la mémoire troublée de Marie… Éveillée tout à fait par la lumière, elle ouvrait sur le monde les yeux clairs d’une adolescente à qui l’avenir appartient…