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À force de les voir, je me sens devenir phoque… Non, Gramegna, celle que j’aimerais…

— Celle que tu aimerais, Ange, n’est pas pour toi !…

Gramegna recommençait à tailler son liège, à pétrir ses boulettes de cire, et Angelo s’en allait.

Il transportait son chevalet et son escabeau de la maison du Faune à la maison du Poète magique, des « Amours dorés » aux « Noces d’argent », des Thermes au Forum triangulaire… Et partout, il traînait un regret et un désir qui le faisaient jurer tout bas… Mais quand il s’était décidé à travailler, la beauté du lieu, le plaisir presque sensuel de tripoter la couleur, l’échauffaient d’une fièvre imprévue. Pompéi s’animait sous ses yeux, écartait ses voiles de cendre, offrait sa chair brune, son visage éclatant et fardé. Tous ces gris fins, ces roux dorés, ces jaunes somptueux, ces laques noires, tout ce cinabre chantant, toute cette polychromie des colonnes, des murs, des pavements, pénétrait Angelo, qui la reflétait en lui, comme un miroir, et devenait, suivant son expression même, « tout plein de couleur en dedans ». Il buvait la couleur ; il la goûtait ; il croyait l’entendre vibrer dans l’air limpide, vibrer dans son sang et dans ses nerfs… Alors, le travail redouté devenait une jouissance. Angelo lavait ses pochades avec une adresse et