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de la proportion qui donne aux moindres statuettes le caractère décoratif d’un monument. Mais on y sentait une tendresse que les Grecs n’ont jamais exprimée s’ils l’ont connue.

Salvatore di Toma aimait les pauvres, même ignorants et criminels. Les pauvres reposaient ses yeux et son âme de l’écœurante banalité des riches qui, par snobisme, se ressemblent tous. La verdeur des propos, la franchise des gestes, la nudité des corps sous les guenilles, la naïveté des passions et même la pureté primitive et parfaite du type, l’artiste ne les rencontre que dans le peuple.

Salvatore, infirme et un peu sauvage, ne fréquentait pas les salons, et ne perdait pas de temps en amourettes. Tandis que son frère Angelo cherchait dans le monde des portraits féminins à peindre, et des comtesses à séduire, lui, le boiteux au masque africain, errait par les vicoli du Mercato ou de la Vicaria, entre la Marine et la porte Capouane. Il parlait à tous ; il entrait partout, dans les bassi des artisans, dans les tavernes des camorristes, dans la prison même dont il connaissait le directeur. Il n’y avait pas de fête populaire, pas de pèlerinage à Montevergine, pas de mascarade, pas de manifestation politique, pas de cortège de grévistes défilant à Toledo, pas de procès criminel aux