vers la lande, sans voir sa femme, il laissa vibrer au hasard l’instrument champêtre, suivant les caprices de son inspiration.
Et maintenant le vieux biniou ne chantait plus son chant de joie… Triste, délicieusement triste, il pleurait une lente complainte d’amour. Il disait la douleur et la passion des humbles, le mal de ceux qui sentent sans pouvoir le dire ce que tant d’autres disent si bien sans le sentir. Il se lamentait sur le laboureur aux mains rudes qui vit près de la terre, la torturant pour la rendre belle et féconde, et qui, las de ses durs travaux, voit les autres passer avec leurs promises et n’a pas de bien-aimée pour l’endormir sur son cœur… Et le pêcheur qui rêve dans l’orage en songeant que la vague peut l’emporter et que sa vieille mère seule pleurera et priera pour sa pauvre âme… Et le conscrit qui part pour le service et dont aucune n’attend le retour. Ainsi, dans sa langue naïve, animée, transformée par l’inculte génie d’un pauvre Breton, le biniou chantait l’éternel poème que dédaignent les rimeurs des villes, le poème des tendresses et des souffrances ignorées qui rongent les simples cœurs et les âmes ignorantes. Il vibrait, il pleurait, il parlait avec une voix humaine, murmurant des consolations fraternelles à tous les déshérités d’amour.
La dernière note expira dans un sanglot suprême… Le musicien resta immobile, en silence, un