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Voilà qu’il allait pleuvoir maintenant ; mais pluie, vent et tempête, que lui importait tout cela ?… Dans son cœur, si calme jusqu’à ce jour, grondait un plus terrible orage que tous les orages des cieux. Le souvenir de Robert la faisait pâlir de haine… elle aurait voulu le frapper, le tuer, dans ce besoin de vengeance brutale que la passion exaspérée réveille au cœur de toutes les créatures — même des plus douces — comme une obscure et fatale hérédité. À cette heure, dans cette Maria-Josèphe si fière et si gracieuse, dans cette vierge au calme profil, aux yeux pudiques, il y avait une autre femme, la descendante des rudes aïeux armoricains, la fille de ceux qui avaient dressé sur la plaine les fantômes de granit, amassé les pierres du tumulus, taillé les haches de silex, race forte, indomptable, ayant avant tout la patience des éternelles rancunes.

Ah ! c’était donc cela qu’ils voulaient, les gens des villes !… Vraiment, c’était plaisir que de les entendre et de les voir tourner autour des filles, offrant comme une grâce la honte de leur amour… Ah ! c’était cela qu’il voulait d’elle, ce Robert aux paroles douces, si douces qu’on ne voyait pas le mensonge au fond. Il l’aurait bien emmenée, il l’aurait bien prise, ce Parisien qui dédaignait les préjugés vulgaires des bourgeois et des campagnards honnêtes, ce beau discoureur qui aimait l’amour pour l’amour. Vraiment, il n’était pas difficile !… Mais elle, Maria-Josèphe le Bihan, n’était pas de celles qui se laissent séduire. Il l’avait vu, il le savait, ah ! le misérable, le misérable !… Est-ce