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Elle se laissait courtiser négligemment sans doute. Mais non, Yann le sentait bien, — car la jalousie éveille de subtiles intelligences dans les âmes les plus primitives — elle n’avait jamais eu pour aucun autre ces timidités et ces hardiesses charmantes du geste et de la voix, cette gravité du regard et ce trouble mal dissimulé par une gaieté d’emprunt qui sonnait faux. Que lui disait-il donc, l’étranger qui osait emporter sur une feuille de papier fragile l’image vivante de sa grâce et de sa beauté ? Il lui parlait de Paris, des fêtes où il avait assisté, d’un tableau qu’il comptait faire. Ses dents brillaient sous sa fine moustache ; il souriait de l’air dégagé d’un homme qui se sent supérieur à son entourage et qui se plaît à l’éblouir… Et Yann, devant ce monsieur aux beaux habits, aux mains blanches, aux séduisantes paroles, Yann avait honte de sa veste noire, de ses gros souliers et de sa timidité paysanne. Ses longs cheveux et ses mains hâlées le gênaient horriblement ; il se croyait gauche, maladroit et ridicule ; il aurait voulu s’enfuir, se cacher, n’être jamais entré dans la maison que M. Léris remplissait de son importance.

— Est-ce bientôt fini, monsieur Robert ? demanda Maria-Josèphe.

Elle semblait un peu lasse et s’appuyait à la table du bout de ses doigts pendants.

— Encore une minute, je vous en prie… à moins, ajouta-t-il avec un accent de réelle sollicitude, que vous ne soyez fatiguée. Pouvez-vous garder la pose un instant encore ?