LA CHANSON DU BINIOU
I
a route de Carnac à Plouharnel offre peu d’accidents pittoresques ; mais, par les ciels de pluie ou de brume, ce paysage plat, coupé d’étroits chemins encaissés entre leurs murs de cailloux, revêt une morne tristesse. On arrive dans ce coin perdu du Morbihan avec des visions de landes abruptes mais si belles dans la sauvage splendeur de leurs floraisons violettes ; de majestueuses chênaies où les dolmens, enfouis dans les ronces, ont de traînantes draperies de lierre et de lichens ; de sentiers tout blancs d’aubépine, égayés par le passage d’une vache au mufle noir que suit une grande fille svelte aux vagues yeux bleus, dont la coiffe blanche semble une colombe envolée… Et devant ce ciel morne et bas qui pèse sur la plaine aride où de pauvres toits de chaume ondulent comme un lointain troupeau de moutons roux, où les dolmens et les menhirs, isolés au bord des routes, se confondent presque avec les gris monotones du sol et de l’horizon, devant l’impénétrable brouillard qui éteint tous les reflets, atténue toutes les couleurs, estompe toutes les lignes du paysage, on se sent envahir par une surprise désenchantée, une sorte de malaise, comme si la mélancolie des brumes de ce pays entrait peu à peu dans l’âme.