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Un son de cloche, très lent, très clair, tomba dans le silence, entre les deux jeunes filles : Fortunade fit un signe de croix et murmura l’Ave, d’une voix humble. Mademoiselle Cayrol continuait de coudre, la tête baissée…

Elle dit enfin :

— Ce n’est pas la même chose. Chacun a des devoirs différents. Qui soignerait mon père, qui le réconforterait si je quittais la maison ? Ma tâche est là, ma vie est là… Je ne suis pas une créature inutile.

— Vous aimez votre père plus qu’un mari et des enfants, dit Fortunade. Moi, je voulais aimer Notre-Seigneur… Il est bien plus qu’un père, puisqu’il est le sauveur du monde… Et l’on trouve que vous faites bien et que je fais mal… Pardonnez-moi, mademoiselle Denise : j’ai tant d’amitié pour vous que je n’ai pas de honte à vous parler. Je vois que vous êtes ce qu’il y a de meilleur à Monadouze, une demoiselle au-dessus de toutes les autres par l’esprit et par la bonté… Mais comment cela peut-il se faire, puisque vous n’allez pas à l’église et ne priez pas le bon Dieu ? Monsieur le curé lui-même vous respecte. Il a dit, un jour, à madame la baronne de Saint-Dumine : « Mademoiselle Cayrol ne va pas à la messe ; mais elle a été élevée au couvent, sa pauvre mère était fort pieuse, et, malgré le docteur et les mauvais livres, mademoiselle Denise a le cœur chrétien… »

— Monsieur le curé est très bon, répondit Denise