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— Vers la Noël… Il est trop souffrant encore pour voyager. Il se repose, à Paris, chez mon oncle… Oh ! Fortunade, il est près de huit heures. Mon père est sur les chemins, à bicyclette… Il rentrera bien fatigué.

— Ne vous désolez pas, mademoiselle… Je resterai pour vous faire compagnie. La mère et le « grand » ne seront pas en peine de moi… Et puis, le monde ne manque pas, chez nous… On fait la velhade[1] ce soir…

Denise sourit :

— Pour les châtaignes ?… Alors, Lionassou, du Bourg d’Eyrein, viendra…

— Le Lionassou ?… Ah ! mademoiselle, faut pas croire tout ce qu’on raconte… Est-ce que j’en fais cas, du Lionassou ?… Un gars si fier, parce qu’il est riche et qu’il n’a pas le nez de travers… Le roi n’est pas son cousin, qu’il dit… Mais Fortunade Brandon ne sera point sa femme… Lionassou Galhar, du Bourg d’Eyrein !… Un sot, un avare, et, avec ça, glorieux comme un pou sur un habit de velours… sauf le respect, mademoiselle !…

Une onde de sang vermeil montait sous la peau fine, jusqu’aux cheveux de Fortunade. Elle pinçait les lèvres et tirait l’aiguille d’un geste inégal… Denise la regardait avec une pitié tendre.

— Pauvre !… tu regrettes toujours ton couvent…

— Ah ! mademoiselle, je peux vous le dire, à vous… à vous toute seule… Pourquoi m’ont-ils

  1. Prononcez : « veillade », veillée.