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peu humide, sentait le cellier, le linge lavé, la pomme mûre.

Denise passait doucement sa main sur ses paupières. Le dé, qui s’était usé aux doigts de l’aïeule et de la mère défuntes, mettait un reflet d’argent sur sa tempe blonde.

Elle appela :

— Fortunade !

La couturière campagnarde n’entendit pas, ne bougea pas. Assise dans l’embrasure de la fenêtre, la taille courbée, les genoux remontés, les pieds soutenus par une chaufferette, elle n’était qu’une ombre ébauchée, contre la pâleur du rideau.

— Fortunade !… On n’y voit plus… Laisse ton ouvrage, mon enfant. Va demander la lampe à Françounette.

— Oui, mademoiselle.

L’ombre se dégagea des plis de la mousseline. Les ciseaux tintèrent sur le carrelage. Fortunade avait disparu.

Mademoiselle Cayrol se leva, ramassa les ciseaux et les remit sur un tabouret, parmi les étuis et les bobines. Debout, pensive, enveloppée des plis légers et laiteux du rideau, elle regarda le paysage trop familier qu’elle n’admirait plus.

C’était, d’abord, un morceau de jardin, étroit devant la maison, clos par une porte grillée, et qui se développait à droite, en formant terrasse sur le chemin. Par-dessus le mur, à travers le léger treillage en fil de fer, Denise apercevait la gorge de la