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Elle était seule, comme toujours, depuis midi. Pourquoi supportait-elle mal sa solitude ? N’était-ce pas le lien secret d’une habitude qui tiraillait son âme, doucement ? Ce qui lui manquait, c’était sans doute les causeries, les lectures, l’élément nouveau introduit dans son existence ; ce n’était pas, ce ne pouvait être ce jeune homme, un étranger, presque un inconnu.

Elle se rappelait les livres que Jean lui avait prêtés. Que de fois elle s’était moquée des pâles héroïnes qui fléchissent sous le poids d’un ennui sans nom ! Pourquoi, depuis quelques jours, penchée sur ces visions de roman, y retrouvait-elle, en traits épars, l’image voilée de son âme ? Elle connaissait donc l’ennui — non pas l’énervement physique de l’oisiveté, car ses mains de bonne ménagère restaient actives — mais cette langueur de l’âme, cette nostalgie sans cause et sans but que le travail ne dissipe pas et qui subsiste jusque dans le sommeil. Sur elle, sur sa maison, sur le gai paysage insulaire, une ombre grise descendait.