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ne pas se départir de sa réserve coutumière quand Demarcys, habile, lui faisait raconter son enfance, ses années de couvent, ses habitudes de vie au Château. Rien n’était plus innocent que ces causeries. Les soins mêmes que Marthe avait donnés à Jean autorisaient l’expression plus familière d’une reconnaissance qui, déjà, prenait le titre et les privilèges de l’amitié. La jeune femme n’était pas coquette. Sa vie tout unie dans un décor toujours pareil, parmi les mêmes personnages, excluait les occasions d’apprendre la prudence défensive et sceptique dont beaucoup de femmes font une cuirasse à leur vertu. Marthe savait que l’homme est exigeant et égoïste, mais elle ne l’avait jamais éprouvé. Elle savait qu’il est des baisers impurs et menteurs, mais ceux qu’elle recevait étaient chastes et sincères. Les passions existaient pour elle comme des Amériques lointaines, aux confins de la littérature et de la vie, et elle était bien sûre de n’y jamais aborder, tant la petite barque familiale semblait solide, ancrée en un paisible port.