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gris, les cheveux sombres de sa mère. Et Marthe soupira. Il y avait entre elle et Demarcys l’abîme de leur indifférence, entre elle et Chaumette, l’abîme de son secret, entre elle et l’enfant l’abîme plus profond d’un mystère.

Elle comprenait que nous sommes tous solitaires en ce monde, que nous vivons côte à côte sans nous connaître, sans nous pénétrer, étrangers même à ceux que l’amour unit à nous, à ceux qui naissent de notre chair. Mais sa frêle pensée de femme hésitait au bord de ce gouffre, attirée par les chimères consolantes qui donnent la force de vivre. L’abbé Gaillac avait résolu le problème, par un juste instinct. Demarcys n’existait plus. Légalement, moralement, l’enfant appartenait à Chaumette, et le temps viendrait où Marthe, par la suggestion de l’habitude, attribuerait au père légitime la véritable paternité.

Marthe dégrafa son corsage, découvrit la beauté de son jeune sein fleuri d’une corolle rose. Et la tête inclinée, dans l’attitude chaste et grave des Madones, elle allaita son enfant.