Page:Tinayre - L Oiseau d orage.djvu/182

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les formes de son corps et les traits de son visage, sa filiation légitime et ses droits. Mais cette espérance pouvait être déçue et Marthe savait combien sont variables et trompeurs ces indices de la ressemblance.

Un après-midi, elle rêvait à ces choses, tout en promenant Georges, du côté du port. Une lumière diffuse, pâle et doucement dorée à la fois, baignait la côte vaporeuse. Le fort du Chapus émergeait des eaux, entouré d’un vol de voiles errantes. Et le pressentiment du printemps qui faisait briller les yeux des filles, gonflait le cœur de Marthe d’un nostalgique et confus chagrin. Le flot montait dans le chenal, entre les maçonneries, couvertes de varechs et de coquilles ; les chaînes des bateaux s’entrechoquaient, et Marthe songeait à la soirée lointaine où, sur le bord de ce même quai, Demarcys lui avait avoué son amour. Le fantôme de Jean habitait tous les paysages. Jusqu’à la vieillesse, jusqu’à la mort, Marthe devait le retrouver partout. Elle ne pouvait ni s’en isoler chez elle, ni le fuir à travers l’île