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la lumière. Tout à coup, relevant la tête, elle aperçut les bastions du Château.

Il lui sembla qu’un voile se déchirait. Elle vit l’arrivée, le débarquement, l’accueil de Chaumette, le rire joyeux de son fils. Elle se vit elle-même, rentrant au foyer, condamnée au secret éternel, au silence. Elle vécut sa vie de femme jusqu’à la mort.

Elle jeta un cri que le vent emporta. Elle sortait du songe. Comme une bête captive cherche une issue, elle regarda autour d’elle, désespérément. Folle qu’elle était d’avoir pris ce bateau, d’avoir fait le premier pas dans l’horreur de sa vie nouvelle ! Elle ne voulait pas arriver au Château, jamais… Ah ! si le vapeur pouvait s’ensabler dans la passe, heurter un fond, disparaître !… Hélas ! il avançait, il s’engageait entre deux crêtes de sable, dans l’eau jaunâtre du chenal ; il se hâtait vers le quai, vers la ville dont on apercevait les remparts, les ormes, les maisons…

Marthe n’osait plus regarder. Elle était tombée assise sur la banquette, s’abandonnant à la