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sans geste et sans cri, le seul qui dure. Elle ne pleure pas, elle qui a tant pleuré. Peut-être n’a-t-elle plus de larmes. Elle est tranquille. Elle sourit à Renaude. Elle essaie d’écouter les histoires du docteur. Elle est très raisonnable, très douce. Elle se dit :

« Cela devait finir ainsi. Bertrand devait faire sa vie, et il n’a pas pu la faire avec moi. Peut-être parce qu’il ne se trouvait pas assez riche. Peut-être à cause de ce que je lui ai avoué. Il y a sur moi cette salissure de mon mariage, un affreux souvenir. Je n’aurais pas dû lui parler. Mais pouvais-je ne pas en parler ? Il évitait de m’interroger. Il ne voulait pas tout savoir. Il ne m’aimait pas assez pour avoir le courage de tout savoir. Et cela nous séparait peut-être. »

Et elle se dit encore qu’il aurait dû lui épargner le coup abominable de cette nouvelle lue dans un journal. Il s’est conduit bêtement, non pas comme un méchant homme, mais comme un homme faible. Il doit en avoir du remords dans son bonheur.

Son bonheur ?

Eh bien, oui, Bon bonheur !… Geneviève l’a trop aimé pour jamais le haïr Elle saura souffrir, d’un cœur pur. Elle essaiera du moins. Ce Bertrand qu’elle a tant chéri, elle ne souhaite pas qu’il soit malheureux, ri qu’il rende malheureuse sa femme innocente. Mais elle voudrait seulement — et c’est une idée bien enfantine, bien folle ! — elle voudrait que le feu prît à la chambre rouge et qu’il n’en restât rien.



IV

Dans la première quinzaine de janvier, les dames de Villefarge mettent leurs toilettes de cérémonie pour faire leurs visites du Jour de l’An Geneviève Alquier, souffrante, fut dispensée de ces devoirs, et ses amies qui n’étaient pas entrées chez elle depuis la mort de M m * Capdenat, ne manquèrent pas de satisfaire tout ensemble leur amitié et leur curiosité. Mme Bausset vint la première, puis Mme Lanthenas, Mme Lacoste, le curé Fontembon. Enfin, Mlle Aubette, à peine relevée de maladie, se présenta et trouva une Renaude Vipreux mal disposée à lui ouvrir la porte de Geneviève. Mais la timide Aubette, agneau révolté, exigea d’être reçue et clama les droits de la parenté. Elle refusait de voir Anthime — elle ne venait pas pour Anthime ! — et elle cria si fort, du haut de sa tête, que Mlle Vipreux dut céder Les mots de chipie et de mégère furent balbutiés entre des mâchoires tremblantes, cependant que, l’une derrière l’autre, les deux vieilles filles gravissaient l’escalier Geneviève vit entrer une Renaude verte de rage contenue, et, sur ses talons, un squelette habillé qui était, macabre et triomphante, la cousine Aubette.

— Le médecin a défendu… Vous allez tuer Madame…

— Pas d’exagération, ma bonne, dit M Ut Aubette, en s’asseyant. Et maintenant, veuillez nous laisser. Je suppose que votre ouvrage vous réclame, et nous avons à causer d’affaires de famille, ma cousine et moi.

Mlle Vipreux sortit en claquant la porte.

— Vous l’avez fâchée, dit Geneviève.

— Ah ! si tu la soutiens, fit M Ue Aubette, mécontente.

— Elle m’a bien soignée.

— Comédie. Si tu savais ce qu’on dit !

— Ah ! je vous en prie…

— Tu ne veux pas ?

— Je suis trop fatiguée. Tout me lasse, cousine. Tout m’est égal…