Page:Tinayre - L Ennemie intime.pdf/80

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Ma pauvre Ginette — elle donnait à Geneviève son nom d’enfance — je suis bien bas. Je m’en vais.

La jeune femme lui prodigua les protestations d’usage que les malades attendent, qu’ils accueillent avec une complaisante crédulité et qu’ils seraient secrètement effrayés de ne pas entendre.

— Cousine, vous ne pouvez pas rester ainsi. À votre âge, on a besoin d’autres soins. Pourquoi n’iriez-vous pas dans un couvent comme pensionnaire ?

La vieille figure jaune, sous le bonnet à pattes qui laissait dépasser de ternes cheveux blancs, fit la moue d’un enfant qui va pleurer.

— Non… Non… jamais. Je veux mourir chez moi, dans mon lit.

— Alors, il vous faut une domestique.

— Et comment pourrai-je la nourrir et la payer ? Toute ma petite rente y passera… Non… Non.

« Ces pauvres vieux ! ces pauvres vieux d’aujourd’hui ! » pensait Geneviève, le cœur serré.

Partout il y en avait, de ces épaves, de ces déchets, restes oubliés d’une société où ils avaient eu leur place, où ils s’étaient construit un humble refuge pour le temps de leur solitude el de leur déclin, avec la volonté de ne rien devoir à personne, de ne rien demander à personne… Un logement, une servante, quatre sous de revenu, et l’on est content. On garde figure de gens convenables. On s’en va vers la mort avec la considération des voisins.

Vieux époux réduite à se servir l’un l’autre, l’aveugle aidant le paralytique ; vieux célibataires, trop fiers pour l’hospice et qui, dans l’ombre tombante du soir éternel, apprennent gauchement à raccommoder leurs habits, à cuisiner leur repas sur une lampe à alcool, à laver leur linge dans une cuvette ; veuves sans enfants, mères orphelines de leurs petite, père que les fils, harcelés par des besoins nouveaux, trouvent à charge, pauvres vieux de cet âge de fer, où les jeunes n’ont pas le tempe d’avoir pitié — tous ils ont vécu trop longtemps, et ils tiennent encore à vivre.

— Ma bonne cousine, je vous aiderai. Si vous voulez aller au Bon-Pasteur de Figeac, je paierai votre pension. Nous sommes parentes. Maman vous aimait. Vous ne voulez pas ? Alors, prenez quelqu’un à demeure et ne vous inquiétez pas de la dépense.

— Je te remercie. Tu as du cœur, toi, Ginette. Je veux bien quelqu’un pour la nuit. Je crois que la bossue viendrait. Celle-là est honnête.

— Très honnête, mais n’est-elle pas un peu… détraquée ?

— Qui t’a dit ça ?

Mlle Aubette, galvanisée, s’agitait sous ses couvertures. Elle sortit un bras desséché, et, de son poing gros comme trois noix, menaça un ennemi invisible.

— Il n’y a qu’elle pour inventer de telles méchancetés.

— De qui parlez-vous, ma cousine ?

— De ta Vipreux ! C’est elle qui a mis dehors la bossue parce que la bossue y voyait trop clair.

— Comment ?… Que dites-vous ?

Déjà, l’excitation de la malade tombait.

— Demande à Maria. Elle te dira tout. Cette Vipreux lui a fait des misères, à cause du chat… File voulait qu’on le tue, ce chat, et la bossue ne voulait point. Et puis, la bossue avait vu des choses…

— Quelles choses ?

— Elle ne me les a pas dites. Elle m’a dit qu’elle te les dirait. Va la voir. Tu sauras. Bien sûr, cette Vipreux, elle en veut à l’argent de Capdenat, à ton argent ! Et ce flougnard d’Anthime est mené par elle, comme ça :

Mlle Aubette se pinça le bout du nez.