Page:Tinayre - L Ennemie intime.pdf/72

Cette page n’a pas encore été corrigée

TROISIÈME PARTIE


I

Enfin, Geneviève trouva, poste restante, cette dépêche de Bertrand :

« Il m’a été impossible d’écrire. Receviez bientôt lettre explicative. Obligé m’absenter pour quelques jours. Malgré apparences et quels que soient événements possibles, croyez-moi bien triste avec vous et toujours votre par le cœur. Attendez pour écrire. »

Les jours passèrent. La lettre annoncée ne vint pas. Mme de l’Espitalet annonça que Bertrand était en voyage pour affaires et qu’elle ne savait presque plus rien de lui.

« Je patienterai jusqu’au premier janvier, se dit Geneviève, et alors, coûte que coûte, je forcerai Bertrand à parler, dussé-je aller le surprendre à la Sarrasine. »

La veille de Noël, vers 11 heures du soir, Lucien et Geneviève Alquier attendaient, dans le salon de paille, que leur voiture fût arrivée du garage. Ils devaient souper à la Caverne d’Ali-Baba, un de ces restaurants-dancings qui pullulent à Paris. Celui-là, le plus récent, arborait son nom comme une joyeuse et cynique enseigne, et c’était la mode de s’y retrouver et d’y chercher, dans un public cosmopolite, les quarante voleurs du conte oriental. Les parents des Parisiens qui s’entassaient sous le plafond doté de ce caveau avaient goûté, autrefois, un plaisir du même ordre, lorsqu’ils recevaient au visage, dans un faux bouge de faux apaches, le coup de gueule de Bruant. Le propriétaire de la Caverne était un marchand de tableaux, Juif venu de Galicie après la guerre, débarqué dans le quatrième arrondissement avec une troupe minable de coreligionnaires à papillotes et qui, en moins de dix ans, avait bondi de la rue des Archives à l’avenue Henri-Martin. Achetant, vendant, stockant et revendant des tableaux fabriqués à Montparnasse, inventant à chaque saison le peintre que les critiques à ses gages annonçaient comme le génie de l’année, il était devenu une manière de personnage. Le premier, il pressentit que la spéculation sur les tableaux avait assez duré, que le bluff devenait trop évident et qu’il fallait changer d’exercice. Il s’intéressa donc à l’art décoratif, fonda