Page:Tinayre - L Ennemie intime.pdf/67

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Vous seule pouvez décider de ce qui vous convient. Je comprends les sentiments de votre cousin et je vous félicite pour le bonheur qui vous arrive. Est-ce que mon père est averti ?

— Pas encore. J’hésite. Je crains de lui porter un coup.

— Vous nous donnerez bien le temps de trouver une personne qui vous remplacera, à moins que votre amie de Figeac…

— Inutile de compter sur elle.

— J’en chercherai une autre et j’irai l’installer. Tout recommence.

Renaude étudiait, de son regard aigu, le visage soucieux de Geneviève et elle discernait la teinte mauve des paupières, le relief plus accusé des pommettes et du menton. Cela ne suffisait pas à vieillir Geneviève, encore moins à l’enlaidir. Un homme n’y eût trouvé peut-être qu’une grâce plus touchante. La vieille fille ne vit que la femme de trente ans passés, touchée par un doigt mystérieux, et qui, déjà, perdait ses armes.

Elle la laissa s’effrayer elle-même, puis, avec une nuance de gentillesse familière qui étonna Geneviève autant que son étonnante déclaration :

— Allons ! n’ayez pas peur. Je ne serais pas si méchante que de vous laisser dans l’embarras. Madame ne veut pas me donner un conseil ? Alors, je dirai ce que je décide : je ne quitterai pas Monsieur. Oui, tel est mon caractère. Je ne suis pas flatteuse, mais je m’attache aux gens que je sers… — Elle se reprit : « Que je soigne. » — J’ai pitié de ce cher M. Capdenat, qui est plus sensible qu’on ne croit malgré sa rudesse. La fortune ? Qu’en ferais-je ? Le luxe est la nourriture de la vanité, le poison de l’âme. Oui, si Madame m’approuve, je continuerai de soigner Monsieur, de travailler pour Monsieur, de veiller aux intérêts de Monsieur qui sont aussi les intérêts de Madame.

Et riant d’un air affectueux :

— Je mettrai de côté capital et revenus, et, si Monsieur se ruine, je lui prêterai mes économies.

Geneviève considérait Renaude comme si elle la voyait pour la première fois, et elle était singulièrement perplexe, avec un air de douter et de s’excuser de douter.

— Je suis sensible à votre intention si généreuse, mais je… nous… nous ne devons pas accepter ce sacrifice…

— Quel sacrifice ? Je ne perds rien, puisque je recevrai une somme pour moi considérable.

— Votre liberté…

— Elle viendrait trop tard. Qu’en ferais-je ? Je me dévouerai avec plus de joie, puisque je n’y serai pas contrainte par la triste nécessité.

Le débat dura un moment et Geneviève remercia encore Mlle Vipreux. Mais elle sentait, non sans malaise, que la vieille fille avait acquis des droits sur la famille Capdenat et que tous les rapports établis depuis sept mois allaient se trouver modifiés.

— Je dois, m’habiller, dit-elle en se levant. Il faut que j’aille à Versailles où je retrouverai mon mari chez des amis. Vous déjeunerez ici, n’est-ce pas ? Je donnerai des ordres.

— Madame est bien aimable, mais mon cousin m’attend à l’hôtel. Il veut me conduire dans un bon restaurant. Oh ! il me gâte. Cette après-midi, il m’accompagnera dans les magasins. Je ne veux plus lui faite honte, avec mes vieilles nippes qui sont assez bonnes pour Villefarge, mais qui sont ridicules à Paris. Il me gronde : « Soyez un peu coquette, cousine, maintenant que vous êtes capitaliste. » Renaude Vipreux capitaliste ! Hé ! Hé ! Qui l’eût dit ? La bonne chance m’arrive quand je ne m’y attendais plus, comme à d’autres la punition… car il y a une justice, même en ce monde… Madame en doute ?… Elle n’a pas une longue expérience, mais elle verra, elle verra…