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tunée est, si j’ose dire, hystérique. Elle a des crises, des hallucinations… Madame ne me croit pas ? Madame n’a qu’à se renseigner près de la mercière ou venir voir par elle-même.

— Je n’ai jamais constaté que Maria eût des crises.

— Elle en a. D’ailleurs, elle ne m’obéit qu’à regret. Elle n’admet pas que je commande. Cela, Madame, me crée une situation fausse, et j’en souffre, malgré ma volonté de résignation.

— Enfin, que faites-vous à Paris ?

La question, ainsi posée, heurta Renaude,

— J’ai droit à quinze jours de vacances payées, dit-elle aigrement. Mais je n’ai pas besoin de quinze jours pour régler mes affaires. Je suis venue voir Madame pour la mettre au courant de circonstances imprévues qui vont changer tout mon avenir.

— Vous quittez mon père ! s’écria Geneviève.

Elle aperçut immédiatement les dépêches comminatoires, les voyages impromptus, l’entresol des Cornières, Capdenat jurant et sacrant dans son fauteuil.

— Madame pense aux ennuis qu’elle aurait. Je n’y suis pas indifférente. Cependant, je dois songer aussi à moi-même. Un peu… Ce n’est pas mon habitude, puisque j’ai toujours vécu pour les autres. Mais ce qui m’arrive est tellement extraordinaire…

Les mains croisées sur les genoux, le regard perdu dans un monde merveilleux qu’elle semblait voir :

— …Madame se souvient que je n’ai plus de famille proche. Mes pauvres parents m’ont laissée seule, sans un sou, ce qui explique pourquoi je suis descendue à un état qui n’est pas le mien…

Geneviève frémissait d’impatience :

— Je sais… Dites-moi ce qui…

— La bonne Sœur Marie-Madeleine, que Madame connaît bien, me réconfortait. « Pauvre Renaude, me disait-elle. Nous avons tous une famille au ciel. La Sainte Vierge Marie sera votre mère et saint Joseph sera votre père. » Mais la nature humaine est faible, Madame le sait. Les consolations divines ne suffisent pas toujours, à moins qu’on ne soit un saint, et je ne suis pas une sainte. On a besoin d’affection. C’est pour satisfaire ce besoin que j’ai consenti à me charger d’un vieillard, d’un infirme, très infirme. Il peut à peine marcher seul. Bientôt, il sera tout à fait impotent, ce qui ne l’empêchera pas de vivre jusqu’à quatre-vingts ans et davantage… J’avais bien l’intention de ne jamais l’abandonner. M. Capdenat, c’est une famille pour moi qui croyais n’en plus avoir. Il me restait pourtant un cousin éloigné…

« Nous y voilà », pensa Geneviève.

— … Tellement éloigné que j’oubliais son existence. Il habite l’Argentine et il est très riche. Sa fortune nous séparait plus encore que l’océan. Et puis je n’aurais pas eu le courage de lui demander un secours… Je suis fière. C’est peut-être un défaut… Enfin, pour abréger, ce cousin est en France. Il s’est informé de ses parents de Figeac et il a connu mes malheurs. J’abrège encore. Il m’a fait venir à Paris, en me payant le voyage, bien entendu. Nous avons fait connaissance. Je lui ai beaucoup plu. C’est la voix du sang.

Elle souriait, comme se moquant d’elle-même.

— Il m’a dit que la cousine d’un millionnaire ne pouvait pas être une espèce de domestique, et il m’a proposé de m’emmener en Argentine pour tenir sa maison…

Elle regarda Geneviève consternée, ouvrit son sac, prit un mouchoir, le déplia lentement et se moucha.

— … Ou bien de me constituer un capital qui me permettrait de vivre indépendante, si je reste en France.

— Eh bien ?

— Eh bien, je voudrais avoir l’avis de Madame