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« superbe » maison des Alquier dont elle était âprement curieuse, elle la voyait conforme à l’idée que les petits bourgeois de sa petite ville se faisaient du luxe des millionnaires : lambris dorés, sièges dorés, cadres dorés, des bibelots partout et des flots de dentelle. À sa vive surprise, il n’y avait pas d’or dans le petit salon, pas de bibelots, aucune dentelle, presque pas de meubles, et les murs n’étaient pas tendus d’un papier imitant la soie. Ils étaient couverts d’une paille blonde, extrêmement fine, disposée en rayons comme des soleils. Le plafond était argenté, les meubles noirs, et sur le divan traînaient des coussins en soies exotiques, bleues, grises, vertes, rouges, mêlées à des fourrures couleur de fumée. Près du divan, une table de laque supportait un appareil téléphonique, une boîte à cigarettes, un brûle-parfums, des livres, des revues d’art décoratif. Entre les rideaux entr’ouverts d’une baie, on voyait le studio, longue salle aux murs crépis de blanc ivoire, avec de splendides étoffes violettes, et des fauteuils grands comme des lits.

« Eh bien ! ce n’est pas beau », conclut la vieille fille après quelques hochements de tête, « M. Capdenat a raison. C’est le genre américain. Et il n’y a même pas de pendule ! »

Un ricanement intérieur s’étouffait dans le pincement des lèvres, et la volupté de mépriser donnait à Renaude une expression de contentement qui frappa Geneviève lorsqu’elle entra par une porte que Mlle Vipreux n’avait pas vue.

Était-ce bien la fille de Capdenat, celle qui avait pleuré d’humiliation devant la gouvernante, un soir (un soir inoubliable pour Mlle Vipreux), celle de qui la vieille fille pauvre pouvait dire, en comparant leurs origines : « Je suis autant qu’elle. » Non. C’était l’autre Geneviève, la belle Mme Alquier dans toute sa gloire parisienne, celle que Renaude avait entrevue dans ses lingeries de princesse ou de courtisane… Elle sortait de son bain parfumé. Sa femme de chambre venait de la coiffer et de lui donner cette robe chinoise brodée de dragons et de roses d’or. Elle s’avançait, inquiète, vers Mlle Vipreux, qui s’était levée et reprenait son masque impassible.

— Vous, à Paris ? Qu’y a-t-il donc ?

— Rien de fâcheux. Que Madame se rassure.

— Mon père est resté seul ?

Renaude eut le sourire d’un ange méconnu.

— Serais-je partie si je n’avais pu me faire remplacer par une personne que j’ai fait venir de Figeac ? Car Madame ne suppose pas que j’aurais laissé Monsieur aux soins d’un souillon comme la bossue ?… D’autant plus que — Madame le sait — Monsieur est extrêmement difficile.

— Hélas ! je le sais. Asseyez-vous, Renaude.

— Je remercie Madame. Paris me tue. Et ce Métropolitain ! Je ne fais que tours et détours avant de trouver la sortie… Je disais donc à Madame que Monsieur est difficile. Cela tient à son état de santé.

— Il n’est pas plus malade ?

— Pas plus et pas moins. Il suit son régime. Mais il a des ennuis avec ses affaires.

— Quelles affaires ?

— Ah ! Madame, il n’y a que M. Capdenat qui connaisse les affaires de M. Capdenat. Je ne me permettrais pas de l’interroger. On ne trouverait pas beaucoup de personnes qui sauraient le prendre, vivre avec lui et quelquefois le contrarier pour son bien sans le froisser. Moi-même, je crains de succomber à la tâche.

Elle tira un soupir de son estomac.

— Je ne suis pas forte. Je n’ai pas été habituée aux travaux pénibles.

— Il n’est pas question que vous fassiez des travaux pénibles. Ayez une aide.

— Monsieur la supportera-t-il ?

— Il supporte bien Maria.

Renaude eut son petit ricanement.

— Il a voulu s’en séparer. J’ai intercédé pour elle, par compassion. L’infor-