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L’ENNEMIE INTIME
par MARCELLE TINAYRE
DEUXIÈME PARTIE

I

Midi. Sous le ciel d’un bleu violet, le causse s’étendait, réverbérant une chaleur estivale qui stagnait comme un lac de feu. Là, le sol calcaire, troué d’abîmes, se dessèche de soif, tandis que, dans les profondeurs, les rivières souterraines roulent leurs froides eaux noires, ignorées du jour.

Les fuseaux sombres des genévriers accentuent le caractère oriental de ces paysages qui préfiguraient aux pèlerins de Rocamadour la Palestine pierreuse, dévorée de soleil. Cependant, des espaces cultivés attestent l’effort humain, obstiné depuis des siècles à féconder le ventre dur de cette terre. Les métairies dressent des colombiers carrés au toit conique. Une église rassemble un troupeau de masures contre ses flânes. Des tombes blanchissent un enclos. Puis, sur des kilomètres, c’est la solitude.

L’horloge dorée de Saint-Martial brillait encore sur la tour romane qui s’enfonçait derrière la colline des Capucins. De la ville disparue, Geneviève ne voyait plus que cette face solaire du Temps, lentement absorbée par la terre, Villefarge, M. Capdenat, Renaude Vipreux, cauchemar évanoui. Le vent, dans la lumière bleuâtre du matin, chantait aux oreilles de Geneviève la chanson de sa délivrance. Les roues chantaient aussi, et la trompe rauque lui faisait bondir le cœur. Elle désira tenir en main le monstre mécanique si puissant et si docile qui l’emportait et elle dit au docteur :

— Votre voiture marche bien. Je voudrais l’essayer. Laissez-moi conduire.

M. Bausset refusa :

— Pas sur cette route. On repêche trop souvent des automobiles fracassées dans la rivière. Je ne me fie qu’à moi-même. Avez-vous envie de mourir !

— Quelquefois, mais pas ce matin.

Elle Souriait, clignant des cils sous la caresse claquante du vent et Croisant sur sa poitrine son ample manteau beige broché de dessins géométriques. Mourir ! Non, certes. Elle n’avait jamais désiré vivre plus ardemment que ce matin-là. Et la route ne l’effrayait pas. Elle connaissait pourtant le péril de ces virages aigus. Les vallées