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des meubles dits « modernes ». Le lampiste vendait des appareils de T. S. F. et des phonographes. La boulangerie-pâtisserie avait, pour les touristes des circuits en autocars, un tea-room. Un garagiste, désigné par deux pompes à essence pareilles à deux gnomes écarlates, tenait en dépôt des automobiles d’occasion. Enfin, dans l’ancienne écurie de l’hôtel de France, le cinéma, ouvert les jeudis et les dimanches, fascinait les gens par des affiches où l’on admirait un couple enlacé, des Peaux-Rouges attaquant une locomotive, un rat d’hôtel en maillot et masque noirs, et l’inévitable milliardaire américain avec son revolver et son téléphone.

L’ombre froide de Saint-Martial se couchait sur le pavé, quand Geneviève passa devant le porche de l’église. Sous les arcades, les boutiques étaient closes et des lampes s’allumaient, jaunes dans le crépuscule.



VIII

M. Capdenat et Mlle Vipreux, assis en face l’un de l’autre, continuaient un entretien déjà familier, car la voix aiguë de Renaude disait, d’un ton de confidence :

« … Moi qui n’ai jamais eu de chance dans la vie… »

Sur la table, couverte d’une nappe à carreaux blancs et rouges, il y avait trois couverts.

Geneviève demanda :

— Nous avons donc un invité ?

Elle n’en croyait pas ses yeux. M. Capdenat ne recevait jamais personne.

Il s’étala dans son fauteuil, caressant le chat Sans-Oreilles, et, clignant de l’œil vers Renaude qui s’était levée à l’entrée de Mme Alquier.

— Une invitée ! précisa-t-il.

Les joues couperosées de la gouvernante s’enflammèrent un peu. Modestement, copine à regret ? elle murmura :

— Monsieur a exigé… Je ne voulais pas…

— Vous n’avez pas à vous excuser, fit Capdenat. Ma fille ne trouvera pas mauvais ce que je trouve bon. Et s’il me plaît que vous mangiez avec nous…

— Si cela te plaît, papa, cela m’est tout à fait indifférent.

Geneviève ne tenait pas au tête-à-tête, mais elle éprouvait une sensation désagréable. Cette demoiselle Vipreux, si humble et si rende, avait une revanche à prendre sur M. Capdenat, et elle semblait la prendre sur Mme Alquier… Cependant, l’extrême réserve de la vieille fille, sa manière de sortir, de rentrer, de servir, de se rasseoir, sans jamais parler la première, corrigèrent ce que sa présence, entre le père et la fille, avait de trop prématuré. Elle obéissait au maître. Pouvait-en lui tenir rigueur d’une indiscrétion qu’elle n’avait pas voulue ?

Aussitôt après ce dîner, Geneviève se retira.

Elle prépara ses bagages — un nécessaire et une mallette — qu’elle étala sur le vieux canapé couvert de cretonne noire à bouquets de roses. À 8 heures et demie, elle entendit une porte se fermer, à l’entresol. M. Capdenat pliait se coucher. Puis, des pas dans le corridor. Mlle Vipreux rentrait chez elle. Les trois quarts sonnèrent. Enfin l’horloge de Saint-Martial frappa neuf coups.

Alors, Geneviève sortit doucement, dans le corridor obscur. Sans tâtonner, elle monta l’escalier de la tourelle et toucha le bouton qui allumait l’électricité dans la « chambre haute ».

Cette ancienne salle d’étude et de jeu, coupée sur le grenier, était à présent un débarras où M. Capdepat n’allait jamais, où les servantes n’avaient que faire