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vous décider… Quoi, pas un mot. Vous voulez réfléchir aussi ? C’est votre droit. Seulement, je n’aime pas attendre… Je compterai donc jusqu’à dix… Un, deux, trois…

— J’accepte, dit Mlle Vipreux.

Geneviève recula, d’un mouvement involontaire, comme si elle s’était trouvée, soudain, entre deux déments. Le regard de Mlle Vipreux heurta le sien et ne fléchit pas.

— Ça, fit Capdenat tout ébahi, ça, c’est bien ! Vous êtes une fille d’esprit.

— J’ai le goût des tâches difficiles

— Il n’y a que ça d’amusant. Demandez aux dompteurs.

— Je n’ai pas peur de Monsieur. Il suffira que je fasse mon devoir. Monsieur me rendra justice.

— Je ne suis pas un tigre, dit Capdenat, et vous n’êtes pas un mouton. C’est parfait. Je n’aime pas les moutons.

Geneviève voulut remercier Mlle Vipreux, mais les mots ne lui venaient pas facilement. Elle sentait un renversement des rôles, comme si l’alliée d’une heure passait soudain à l’ennemi.

Capdenat interrompit sa fille :

— De quoi te mêles-tu ? Ce n’est pas toi, c’est moi qui choisis une gouvernante. Cette affaire ne te concerne plus. Tu peux retourner à Paris. Nous nous passerons de toi. Là-dessus, mademoiselle Vilcheux…

— Vipreux.

— Vipreux, soit !… Votre petit nom ?

— Renaude.

— Là-dessus, Renaude, occupez-vous du souper. Les émotions, cela creuse !



V

Le lendemain, dimanche, Maria-la-Bossue arriva de très bonne heure, comme à l’ordinaire, apportant le pain et le lait du déjeuner. Elle laissa ses galoches sur le palier pour ne pas réveiller M. Capdenat et s’en fut, en chaussons, à la cuisine.

Sans-Oreilles, couché contre les chenets, dans la cheminée à hotte, se déroula tel une couleuvre de velours et salua Maria d’un miaulement. Elle était vieille et tordue, affligée d’une taie sur l’un de ses yeux, et sa bosse gonflait drôlement son châle de laine noire. Cependant le chat Sans-Oreilles la révérait ainsi qu’une divinité belle et secourable.

« Attends !… attends ! petite canaille ! Je vais te donner ton lait. Est-il gourmand, cet animal-là ! Pour lui tout fait ventre ! »

Elle versa un peu de lait dans une tasse et l’offrit au chat qui passait et repassait, le dos en arc, contre sa jupe.

Quand elle se redressa — autant qu’elle pouvait se redresser — elle vit près d’elle une dame maigre, en deuil, tenant un paroissien entre ses mains gantées de fil noir.

— Bonjour ! dit la dame maigre. Je suppose que vous êtes Marie. Vous m’avez vue hier. Je suis Mlle Vipreux. C’est moi qui m’occuperai du ménage.

— Bien, mademoiselle.