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LES LIVRES NOUVEAUX


Œuvres étrangères.

Il y a, dans les œuvres du grand romancier norvégien Johan Bojer, la puissance de la vie et la puissance de la pensée. Chacune de ses œuvres touche à un grand problème de l’esprit. C’est ainsi que le Nouveau Temple, traduction P.-G. Le Chesnais, n’est pas seulement un roman paysan où l’amour de la nature se charge d’une rayonnante poésie. De ce récit, des scènes, des épisodes se dégage un drame spirituel qui se compose avec un message social.

Ajoutons que sur Johan Bojer, sa vie et ses œuvres, M. P.-G. Le Chesnais, qui connaît si bien la littérature Scandinave, nous donne une étude très complète où sont observées les influences diverses qui se sont exercées sur le grand écrivain. Nous voyons constamment dans ces pages de biographie et de critique la vie réagir sur l’œuvre, l’œuvre sur la vie. Le roman vécu et les romans créés par Bojer se commandent et se confondent.

La Machine, de Rabindranath Tagore, est une œuvre qui s’adresse aussi bien à l’Orient qu’à l’Occident, car le tragique problème qu’elle soulève menace toutes les civilisations. Il s’agit de savoir, en effet, si nous n’allons pas avoir une guerre auprès de laquelle celle de 1914 n’aura été qu’un jeu d’enfants. Les hommes se rendront-ils compte à temps des horreurs prochaines vers lesquelles les entraînent le machinisme actuel et le choc des races qui va suivre… Il y a, dans ce roman, directement traduit du bengali par MM. F. Benoit et À. C. Chakravarty (Rieder, édit ), un cri d’alarme dont on est saisi. Dans un but politique, un maharadjah a fait construire une machine qui, en endiguant la Moukta-Dhârâ, réduira à l’obéissance les paysans de la province voisine, jugés d’esprit subversif. Désormais ce sera, pour là-bas, la famine à volonté. Tagore nous fait assister, chez les paysans du maharadjah affameur, à une véritable explosion de joie chauvine. L’ingénieur occidentalisé va être acclamé par la foule… Mais soudain le prince héritier, sacrifiant sa vie, ouvrira la digue que son père avait fait placer entre les hommes des deux pays. Il meurt en même temps que la machine qu’il a tuée.

Benoni, de Knut Hamsun — prix Nobel du roman — vient d’être traduit du norvégien par M. Georges Sautreau (Rieder, édit.). Ce livre nous conduit dans le Nordland, bien au-dessus du cercle polaire, au pays des étés presque nuit et des hivers presque sans jour, qu’illumine parfois la fantasmagorie des aurores boréales. Entre la montagne aux neiges éternelles et l’Atlantique sans fond et sans bornes, une étroite bande de terre cultivée ne suffit pas à nourrir la population. C’est à la mer que l’homme doit arracher sa maigre subsistance. Mais ce n’est pas sous l’angle tragique que Knut Hamsun nous présente, dans Benoni, la vie du Nordland où il a passé son enfance et son adolescence, dont il connaît à fond les mœurs. Au petit port de pêche, à la « place de Commerce », règne le marchand. Sa boutique est le seul point de contact avec la civilisation, le centre des nouvelles et des potins, où se rencontrent les commères et les pêcheurs, les matelots de passage, les Lapons nomades. Aux pêcheurs il vend à crédit les engins, les vêtements et les denrées, il leur fournit du travail pour rentrer dans ses fonds et leur achète au plus bas prix le produit de leur pêche. Usurier et grand seigneur, hautain et familier, cupide et compatissant, il les protège et les gruge, fait la loi dans la paroisse et inspire à tous la méfiance et le respect. C’est la vie d’un de ces petits centres que Hamsun nous fait véritablement vivre ; tout son art subtil sait l’évoquer, à petits traits, sans description, sans analyse, dans sa réalité, dans son mouvement, dans sa quotidienneté, en un style de bonne humeur.

Derrière le dos de Dieu, traduction Ladislas Gara et Marcel Largeaud (Rieder, édit.), est l’une des premières œuvres du romancier hongrois Moricz et celle où il se révéla comme l’un des meilleurs peintres et des plus directs observateurs actuels de la vie populaire en son pays. Paysans matois, frustes et cupides, sensibles pourtant ; hobereaux ruinés, sentimentaux, cruels, déclassés ; Juifs affranchis et prodigues lorsqu’ils sont jeunes, inadaptés et âpres au gain dès qu’ils vieillissent ; commerçants bornés ; intellectuels nourrissant tous le même rêve insensé de la capitale ; magnats enfin, nobles richissimes, seigneurs cloîtrés dans leurs anciens manoirs aristocrates, passant la moitié de leur vie à l’étranger, maîtres absolus d’immenses domaines, tels sont les personnages que Moricz fait vivre et qu’il a observés probablement dans le village même où il a vécu ses vingt premières années.

Vous voudrez également lire ou relire ces belles œuvres étrangères en des adaptations françaises : Entre terre et mer, de Joseph Conrad, traduction de M. G. Jean-Aubry (N. R. F édit.) ; lie, mon île, de Il. D. Lawrence, traduction de Mme Denyse Clairouin (Kra, édit.) ; deux livres d’O’Flaherty, traduits par M. Louis Postif (Stock, édit.) : le Réveil de la brute, où s’évoque la guerre sous une plume et avec une psychologie d’outre-Manche, et M. Gilhooley, un drame dont l’action se passe à Hublin, parmi ces bouges qu’O’Flaherty décrit avec un réalisme saisissant. D’autres œuvres anglaises : Dans la cage, de Henry James, et la Promenade, au phare, de M 1116 Virginia Woolf, sont traduites par M. Lanoire (Stock, édit ). Sereine Blandice, œuvre d’« une Anglaise de qualité », nous est présentée par M. Victor Llona (Collection « Tours d’horizon »). Enfin, dans la collection « les Livres de nature » (Stock, édit.) : Carka, la Loutre, de Henry Williamson, est adaptée par F. W. Laparra.

Parmi les œuvres traduites, des autres littératures, citons : la Confusion des sentiments et Amok, de Stefan Zweig (Stock, édit), traduction de MM. Alzir Hella et Olivier Bournac ; l’Affaire Mauritius, de Jacob Wassermann, dans le texte français de M. Jean-Gabriel Guidan (Plon, édit.), prend place dans la collection : « Âmes et terres étrangères », et le Juif Süss, de Léon Fenchtwanger, traduction de M. Maurice Remion (Albin Michel, édit.), dans la « Collection des maîtres de la littérature étrangère ». Citons encore : Saba visite Salomon, de Mme Hélène Eliat (Grasset, édit.), et plusieurs œuvres de Franz Werfel : le Passé ressuscité, traduit par Mme Faisans-Maury et préfacé par M. Félix Bertaux (Stock, édit.) ; la Mort du petit bourgeois, traduction Alexandre Vialatte (Attinger, édit.) ; le Coupable, c’est la victime, traduction d’Henri Bloch (Rieder, édit.).

Enfin trois des beaux romans espagnols d’Armande Palacio Val dès nous sont offerts : Sainte Rozélia, traduction de Mme Philine Burnet, Lalita (Plon, édit), et la Sœur de Saint-Sulpice (Marpon et Cie, édit) dans le texte de Mme Tissier de Mallerais.


Poètes féminins.

Mme Cécile Périn nous a déjà donné une œuvre importante de poète. Elle est de ces lyriques dont le public artiste suit avec sympathie la carrière : aucun de ses livres, en effet, ne laisse le lecteur indifférent, car une ardente personnalité s’y affirme. Les premières œuvres, toutes subjectives, exaltaient la joie de vivre et d’aimer.