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mère, ma sœur… C’est un adieu que je vais leur dire, car je ne reviendrai plus.

— Où irez-vous ?

— Je n’en sais rien. Je n’ai pas l’habitude de beaucoup penser au lendemain.

— Verrez-vous votre notaire ?

— Quel notaire ?

Me Beausire, pour la succession ?

— Il saura que l’affaire a été arrangée entre vous et moi.

— Et que vous ne contestez pas ma créance ?

— Je vous paierai, moi-même, ce qui vous est dû, et avec les intérêts. Moi-même. Tout sera réglé selon la vraie justice.

— Vous êtes un honnête homme.

— Et un homme pressé… Je dois partir à minuit vingt.

— Venez donc, dit Renaude.

Et se ravisant :

— Je vous gênerais. Faites seul votre pieux pèlerinage.

— Il y a partout des scellés. Cela m’est tellement désagréable que j’ai envie de les faire sauter… une envie maladive… Aidez-moi donc à m’en défendre. Votre présence me rend l’équilibre de ma volonté et de ma raison.

Elle domina sa répugnance. Cette soirée, cette scène, quelle épreuve pour une femme malade ! Car Renaude se sentait malade, et elle eût consulté Bausset s’il ne l’avait pas négligée d’une manière inamicale. Elle précéda Raymond. Ils traversèrent le salon enseveli sous les housses et la chambre de Capdenat. Au seuil de la chambre bleue, Renaude s’arrêta.

— Entrez seul, je le préfère. C’était là qu’ils étaient. Et cela m’est pénible…

Raymond lui prit le bras :

— Je vous dis que j’ai besoin de votre présence. Un instant seulement… Faites cet effort. Avez-vous peur ?

— Peur ?… Non. Je n’ai pas peur. Je suis émue… nerveuse…

Il l’avait entraînée sans violence, en la tenant toujours par le bras.

— Venez !… Venez !… Elle était là… sur ce lit. Je crois la voir. Et vous aussi, vous croyez la voir…

Il appela dans le lugubre silence :

« Geneviève !… Geneviève !… »

Une terreur panique saisit Renaude. Elle se vit enfermée avec un fou, dans cette chambre retirée, close, étouffée de lourdes tentures. Si elle criait, qui l’entendrait ? Si le fou se jetait sur elle, qui viendrait à son secours ? Elle n’avait à compter que sur elle-même, sur sa force et sur son courage. Elle se rassembla donc et fit tête.

— Allons, monsieur, sortons d’ici. Vous n’êtes pas bien. Soyez raisonnable…

Il dit, d’un ton calme et naturel :

— Vous allez me donner immédiatement la lettre que vous avez volée à ma sœur. Immédiatement. Sinon, je vous étranglerai. Vous avez cinq minutes.

Renaude resta sans voix.

Raymond regarda l’heure à la montre qu’il portait au poignet, dans un ruban de cuir.

— Vous avez très bien arrangé votre petite histoire, et je vous ai laissé parler pour vous connaître. Mais je savais la vérité par ma sœur qui m’a écrit avant de partir et de mourir… Toute la vérité. Toute. Ton crime, coquine, ordure immonde, vieux serpent qui peux bien te tortiller, mais qui ne m’échapperas pas. Tu as tué Geneviève !… Tu l’as torturée, désespérée, assassinée !… Maintenant, il faut payer… rendre gorge. La lettre d’abord. Où est la lettre ?

Renaude, au bout du bras qui la tenait, se débattit convulsivement, mais ses yeux, qui voyaient la mort, ne se baissèrent pas.