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était moins unanime dans la louange… À la sortie de la messe, Mme Bausset avait paru embarrassée et froide. Le docteur n’était pas venu depuis bien des jours. Renaude avait la faiblesse, elle si forte, d’en être affectée.

… Elle parla très longuement. D’abord, en cherchant ses mots, en se surveillant, tandis qu’elle exposait l’enchaînement des faits ; puis, avec une singulière aisance, comme débitant un plaidoyer solidement établi dans sa mémoire, quand elle arrivait à l’explication de ces faits. Le récit était parfaitement composé. Du caractère de Capdenat, Renaude déduisait toutes les raisons de ses actes qui rendaient simple et vraisemblable l’histoire de l’emprunt et du testament. Raymond l’admettait sans conteste. Il y paraissait même assez indifférent.

— Je comprends, dit-il. Les objections qu’on vous a faites sont venues d’Alquier et non pas de Geneviève.

— De lui seul. Elle n’osait pas le contredire. Elle se taisait.

— Mais, seule avec vous…

— Je n’ai pas été seule avec elle.

— Quand elle est partie, en automobile, elle ne vous a pas dit au revoir ?

— Au moment de son départ, je me trouvais souffrante. Elle n’a pas voulu me déranger.

— Mais vous saviez qu’elle allait chez sa marraine ?

— Je n’interroge pas les personnes qui vivent avec moi.

— Vous respectez leurs secrets.

— Mme Alquier n’avait pas le goût des confidences. Si elle m’avait parlé de son projet de voyage, je l’en aurais détournée. Je savais que cela déplairait à son mari. Et cette course, dans la nuit… Une femme seule ! Quelle imprudence !… Je crois — c’est une simple supposition — que Mme Alquier s’est brusquement décidée à partir parce qu’il y avait eu, entre elle et son mari, une discussion… une querelle… Que sais-je ? C’est un méchant homme ! Naturellement, il n’en a rien dit. Il a préféré m’accuser. C’était plus commode.

— Oui, c’est un très méchant homme. Ma sœur aurait dû le quitter, refaire sa vie. Je l’y engageais. Elle attendait… quoi ? Je l’ignore.

— Sans doute avait-elle des scrupules religieux. L’Église interdit le divorce.

— Mais elle permet la séparation. À mon avis, Geneviève subissait une influence que je n’arrive pas à définir. Oui, elle attendait. C’était une âme si tendre et si faible, épeurée devant la vie. La méchanceté des hommes en avait détendu le ressort. Il aurait fallu vouloir pour elle, agir avec elle… Et elle était seule… C’était une femme, rien qu’une femme… Pauvre Ginette !… Pauvre chérie !…

Il mit sa main sur ses yeux, et Renaude crut qu’il pleurait. Il ne pleurait pas. Il cachait son visage pour n’être pas vu et surtout pour ne pas voir. Le mouvement de son cou révélait le spasme de la gorge qui ravale rudement les sanglots.

Il reprit :

— Dites-moi tout… Comment la chose est arrivée… comment on a trouvé son corps… comment on l’a rapporté… Sa figure… sa figure de morte… Vous l’avez vue, vous !… Vous devez l’avoir devant vos yeux. Rappelez-vous… Elle était brisée, écrasée… tuée sur le coup… Les journaux l’ont écrit… Mais sa figure… Allons, revoyez-la pour me la montrer. Toute pâle, intacte… Pas de sang… Vous vous êtes penchée sur elle… Elle vous regardait de ses yeux éteints…

— Monsieur, je vous en prie… Vous nous faites du mal à tous deux… Vraiment je ne peux pas… je ne peux pas…

— Pardon. Je suis trop exigeant. Excusez-moi, dit Raymond.

Il se leva.

— Avant que je prenne congé de vous, mademoiselle, permettez-moi de revoir, avec vous, toute la maison. J’ai ici tant de souvenirs ! Mon enfance, ma pauvre