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L’autre parti, encore hésitant à s’affirmer, composé de quelques personnes autrefois liées avec Mlle Aubette et qui tâchait à rallier les Lacoste, se bornait à dire pour le moment :

« Capdenat ruiné ?… Capdenat empruntant de l’argent à sa gouvernante ?… Vous badinez !… Il y a quelque chose là-dessous. »

Enfin, moucheron perdu dans la crinière de ce grand fauve stupide qui s’appelle l’Opinion publique, s’évertuait une pauvre bossue sans esprit et sans autorité.


Renaude Vipreux laissait dire. Elle sortait peu et portait le deuil de Capdenat comme celui d’un proche parent. On ne la voyait guère qu’à l’église où elle édifiait les fidèles. Le dimanche, suivie de Mélanie, elle allait au cimetière.

Ainsi passa le premier mois de sa solitude.

Un jour, Mélanie dit chez le boucher qu’elle cherchait une place. Elle ne pouvait plus rester aux Cornières. Elle avait peur.

— Je ne me plains pas de la patronne. Nous sommes bien habituées ensemble. Mais, cette grande maison, la nuit, on dirait que les morts y reviennent. Ça parle. Ça traîne les pieds dans les escaliers, ça gémit. Je me mets la tête sous la couverture. Je claque des dents. La colique me tord. Mademoiselle est plus heureuse. Elle n’entend rien et me dit que je suis une imbécile.

— Té, fit le sémillant garçon boucher, s’il vous faut de la compagnie la nuit pour vous empêcher d’avoir peur, je suis là.

— J’aime mieux retourner au pays où j’ai une tante qui me placera.

Mélanie partit, et l’on commença de dire, dans le petit peuple, que la maison Capdenat était hantée.

Mlle Vipreux ne reprit pas de servante. Elle n’était pas poltronne et ne croyait pas aux revenants. Et puis, dit-elle à Mme Bausset, l’ingratitude de Mélanie l’avait dégoûtée des domestiques. Elle fit un arrangement avec la mercière qui respectait en elle la future propriétaire. La bonne de la boutique apporta, désormais, les provisions et lava le linge de Mlle Vipreux. Deux fois par semaine, elle faisait, à grand fracas, le gros nettoyage. Presque toutes les pièces de la maison étaient fermées. Mlle Vipreux habitait sa chambre et la salle à manger. On l’entrevoyait, assise dans le fauteuil Voltaire, près de la fenêtre dont elle avait soulevé le rideau, travaillant à un ouvrage de couture pour les pauvres de l’hôpital.

Le noir hiver était venu, le noir hiver des petites villes où, dès 5 heures, les rues sont vides. Mme Bausset qui était frileuse sortit moins souvent. Le docteur préparait une suite à sa fameuse brochure et s’était découvert une nouvelle marotte : « l’orientation professionnelle des enfants ». Personne n’entendait parler de M. Alquier, et les scellés étaient toujours sur les meubles.

Le notaire convoqua Mlle Vipreux.

— Il y a, lui dit-il, une somme de cent mille francs, déposée par M. Capdenat, dans une banque de Rodez. En aviez-vous connaissance ?

— J’ignorais les affaires personnelles de M. Capdenat.

— Il n’était donc pas tout à fait ruiné ?

— Il disait l’être.

— Ces cent mille francs représentent, en partie, la valeur de vos créances.

— En partie seulement.

— On a trouvé aussi la trace des opérations que M. Capdenat a faites en retirant des titres. Et nous avons les numéros de ces titres retirés.

— En quoi cela me concerne-t-il ?

Me Beausire tournait son stylographe entre ses doigts.

— Vous êtes ma cliente. Je crois vous donner un bon conseil. Acceptez une transaction.

— Inutile, maître Beausire. Je veux mon droit et rien que mon droit.