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Loirs (Nevers), brosse à larges coups de pinceau des fresques évocatrices de la vie du fleuve royal.

On s’attardera volontiers sur les Chants de l’aurore, de M. André Joussain (Messein, édit.) ; sur le Livre des passe-temps (Émile-Paul, édit.), de M. Léon Vérane ; sur le Secret des heures mortes (édit, du Divan), de M. Jean Pourtal de Ladevèze. Des notes intéressantes nous sont offertes encore par la Chèvre à la haie, de M. Georges Ville (Aubanel, à Avignon), chansons et poèmes vibrants de résonances latines et par les Myrtilles, de M. Robert Clémencin (Messein, édit), qui, lui aussi, sait se souvenir de Virgile et de Dante. Vous accueillerez également, et avec une sympathique émotion, le premier et unique recueil d’un poète-soldat mort glorieusement pour son pays en 1915, Albert Abbo, dont les œuvres éparses viennent d’être recueillies et publiées sous le titre, V Urne du cœur (Messein, édit ), avec une préface de son confrère au barreau des Alpes-Maritimes, M. Léon Reynaud. Enfin nous signalerons encore — cette fois parmi les œuvres de début — Paysages et paysans (Messein, édit.), de M. Jean-Joseph Vilaire qui transporte la poésie agreste dans les terres tropicales ; Poèmes et poésies, de M. Jean Bouchard, et Premiers chants de ma Muse, de M. Henry Mavit, l’un et l’autre recueils préfacés par M. Raoul Follereau. Parmi les éditions de la « Caravelle », notons : Is Petit-fils de Barbe-Bleue, de M. Lucien Février, roman en vers inspiré par sept muses différentes ; la Chanson du veilleur de nuit, par M. Jean Bucheli ; Ma Raïta, par M. Victor Lévy ; les Cyprès embrasés, par M. Arsène Yergath, tous deux présentés par M. Octave Charpentier, et le Val d’amour, de M. Joseph Dulac.


Études d’art.

Au Louvre avec Delacroix, c’est, dans une belle édition enrichie de reproductions des maîtres de la peinture depuis un siècle, un curieux ouvrage de M. Fernand Vallon (Arthaud, édit, Grenoble). Notons que l’auteur, M. Vallon, le préfacier, M. Elie Faure, et M. François De bai, qui aida à la naissance du livre, et enfin l’éditeur lui-même sont tous médecins. De plus, la Société des médecins bibliophiles s’est intéressée à ce tirage de luxe.

Munis de traditions classiques qui les aiguillent vers l’observation aiguë, les médecins deviennent, lorsqu’ils se mêlent d’art, des observateurs et des psychologues de qualité. On peut donc attendre d’eux une grande sincérité de critique ou d’enthousiasme lorsqu’ils reviennent de glaner dans les terres d’Apollon.

M. Élie Faure, qui a jugé Delacroix « la plus forte et la plus grande âme de peintre depuis Rembrandt », rappelle dans sa préface à quel point le grand artiste porta dans la joie, jusque dans l’ivresse, le drame de l’esprit, et il ajoute que la richesse des impressions — même débordantes — de M. Vallon nous montre que l’auteur a bien senti Delacroix. Or, sentir Delacroix, c’est être prêt à reconnaître le trésor merveilleux qui s’entasse au Louvre, car il en est l’aboutissant et la source ; communier avec lui, c’est communier par sa peinture avec la symphonie de Venise, l’angoisse espagnole, le mouvement de Rubens, la volonté de Michel-Ange, l’humanité souveraine imprimée à la matière vivante de Rembrandt, la lumière, la forme et la couleur du Titien jusqu’à ses modernes successeurs.

M. Fernand Vallon imagine en son livre qu’un personnage de sa création — rêveur passionné et ardent — s’entretient avec l’ombre de Delacroix et réalise avec le maître, par un bel après-midi d’été, un splendide voyage dans l’espace et dans le temps. Un siècle de peinture au Louvre s’évoque dans le dialogue où se développent les impressions de l’ombre illustre qui, comme toutes les ombres a le jugement très sûr ». L’entretien s’image de citations du journal du maître. Ces citations confèrent leur autorité au dialogue qui se poursuit devant les toiles évocatrices. Et elles donnent comme une authenticité aux confidences du grand maître disparu sur cent ans d’histoire de l’art.


Le Russell de la jeunesse.

S’il est peu de visions qui saisissent autant le regard, l’imagination et l’âme que le spectacle de la nature, il est aussi bien peu d’enthousiastes et bien peu de passionnés de la nature capables d’exprimer les raisons de leur enchantement et de communiquer au lecteur « la flamme qui les brûle ». Un grand « ascensionniste » pyrénéen du siècle dernier, le comte Henry Russell, eut pourtant cette belle ambition de contribuer un peu par le récit de ses voyages à « allumer ou à entretenir, pour des montagnes qui le méritent à tant de titres, ce feu sacré des ascensions, qui font les corps robustes et souvent même les grands cœurs ». Les Souvenirs d’un montagnard et les Grandes ascension» ont, à n’en pas douter, atteint et dépassé ce but. Ces ouvrages ont, dans le monde fervent du tourisme et du sport, rendu célèbre leur auteur et communiqué à ses lecteurs son amour de la nature « poétique et sauvage » à laquelle il a dû « tant d’heures surnaturelles de contemplation et d’extase ».

M. Paul Mieille a vu, dans l’œuvre de Russell, quelque chose de plus intéressant encore qu’un récit d’aventures et d’excursions pyrénéennes. Il a deviné quelle influence morale pourrait avoir sur les jeunes sportifs de notre temps la vulgarisation de ces pages ardentes et lyriques « tout imprégnées de cette précieuse naïveté, de ce délicieux laisser-aller, de cette joie de vivre, de cette saine gaîté qui sont les attributs de l’enfance heureuse ».

Bref, M. Mieille a regroupé sous ce titre : le Russell de la jeunesse (Lesbordes, édit., Tarbes), une sélection de pages extraites des Souvenirs d’un montagnard (illustrées et précédées d’une introduction et de deux notices biographiques), pages remarquables où Russell a caractérisé, en savant et en géographe autant qu’en artiste du verbe, les Pyrénées et leurs divisions géographiques et orographiques avec leurs climats, leur lumière, leurs lacs et leurs déserts, «tous les charmes et toutes les beautés qui en font un séjour incomparable pour l’artiste, le rêveur, le grimpeur et le simple touriste ami de la nature ». De pittoresques et merveilleux récits d’ascension suivent ces pages de descriptions, d’extases, de rêves et de poésie : « De la Rhune au Vignemale », « les Cirques de Gavarnie et de Troumouse », « au Canigou », « Ascensions dans les Pyrénées espagnoles : du Visaurin au Néthou », et, pour finir : « le Vignemale et ses grottes » — cette retraite lumineuse, cette « retraite aérienne » dont Russell a gravi tous les pics et dans laquelle, « troglodite des neiges », il viendra au soir de sa vie couronner sa carrière de voyageur et de montagnard.

De la première à la dernière page apparaît, dans l’œuvre de Russell, un amour agenouillé de la montagne — en général — image émue et puissante de l’infini et plus particulièrement des Pyrénées dont le comte Russell a tant admiré la grâce féminine et si bien défini l’imposante grandeur.


Le Directeur : René Baschet. — Imp. de L’Illustration, 13, me Saint-Georges, Paris-9e (France). — L’Imprimeur-Gérant : Th. Huck.