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tant pour mon honneur. Il saura pourquoi M. Capdenat m’a préférée à vous lorsqu’il a eu besoin de l’aide d’une amie… car il me regardait comme une amie, et il avait raison de compter sur mon dévouement.

— Quand mon mari a pris une résolution, il va jusqu’au bout.

— Et moi de même.

— Je suis sans pouvoir sur lui.

— Je le regrette pour vous.

— Et même s’il renonçait à l’enquête qu’il fera, et qui vous inquiète… car elle vous inquiète, Renaude !… il faudrait encore obtenir le consentement de mon frère.

— Vous l’obtiendrez, je n’en doute pas.

— C’est votre dernier mot ?

— Oui, madame. Je n’agis pas de mon propre mouvement, quoi que vous pensiez. Je sers a-veu-glé-ment la volonté sacrée de mon maître. Et j’ajoute que ce n’est pas honnête, quand on est riche comme vous, de discuter une dette et de prétendre dépouiller une pauvre fille qui s’est fiée à l’honneur de votre père… Ah ! l’on m’attaque !… Eh bien, je me défendrai.

Geneviève se leva.

— Soit ! Que retombe sur vous…

Elle n’acheva pas la parole de malédiction. La vie semblait s’être retirée de son visage et elle sortit, sans bruit, comme elle était entrée.


Le patron du garage qui était sur sa porte ne remarqua pas Geneviève avant qu’elle ne fût devant lui, ombre noire dans la rue mal éclairée.

— Jordan, il paraît que la voiture est prête ?

— Ah ! c’est madame Alquier ? Excusez ?… Je ne vous remettais pas. Oui, madame, toute prête. Monsieur sera satisfait.

— Faites le plein d’essence. J’ai besoin de la voiture.

— Ce soir ?

— Immédiatement.

— Mais, madame, je n’ai pas de chauffeur à votre disposition, comme ça. Si j’avais été prévenu…

— Je sais conduire et je veux partir.

— Il fait nuit.

— Ne perdez pas de temps. Je suis pressée. Je vais à Puy-le-Maure.

— Dans la Corrèze ?

— Oui. Je connais la route.

Le garagiste était perplexe. Il regrettait d’avoir dit que la voiture était préparée, et il remarquait que Mme Alqiuer, très calme, était blanche jusqu’aux lèvres. Elle n’avait pas son chapeau de deuil. Une écharpe noire, roulée en turban serré, cachait ses cheveux.

— Madame a des bagages ?

— Ce petit sac.

— C’est qu’il fera froid.

— J’ai un manteau fourré. Dépêchez-vous, Jordan.

— Alors, M. Alquier ne vient pas ?

— Dépêchez-vous donc ! répéta Geneviève, que ces questions irritaient.

Jordan n’osa plus discuter. Il sortit la voiture dont la masse allongée parut barrer la rue déserte.

C’était une automobile de tourisme, grise comme un torpilleur, très basse, longue de capot, avec des roues pareilles à des boucliers et des nickels étincelants. Deux sièges seulement sous une capote de toile blanche. Le coffre se recourbait en dos de scarabée. Mais cette voiture n’évoquait pas l’idée d’un insecte géant,