Page:Tinayre - L Ennemie intime.pdf/117

Cette page n’a pas encore été corrigée

mannequin démodé, les fauteuils brisés, les piles croulantes de magazines et l’épervier empaillé sur une étagère de sapin.

Pas de scellés au secrétaire.

Geneviève met la clef dans la serrure, tire l’abattant qui lui échappe soudain. Le vieux meuble craque et gémit. Vite ! La planchette joue dans la rainure… Les lettres ! Tout le paquet, dans la cachette, avec son ruban bleu intact !… Chaque enveloppe porte un numéro, de un à vingt-cinq.

« Toutes !… Elles y sont toutes !… Je suis sauvée. Je vais m’évanouir… »


— Que faites-vous ici ?

Geneviève tressaille et se retourne, serrant le paquet de lettres dans sa main qu’elle ramène vers sa poitrine.

— Et vous ? dit-elle.

Renaude Vipreux est en chemise de nuit et en jupon, sous un châle noir à franges. Ses jambes maigres, sillonnées de veines bleues, sont nues, et nus ses pieds dans des savates de feutre. Ébouriffés par l’oreiller, ses cheveux roux, blancs par places, se hérissent sur sa petite tête, haut dressée, haut dardée, et, dans cet accoutrement, elle serait burlesque si les couteaux luisants de ses yeux et les taches sanglantes de ses pommettes ne lui faisaient un masque terrible. Ce n’est plus la vieille fille, roidie dans sa fausse humilité. Ce n’est plus le chat malade. C’est l’Être que Geneviève a vu, dans son délire, penchant sur sa fièvre un cou de gargouille. C’est le Monstre, roux et rusé comme le renard, et qui siffle, en amassant ses poisons, comme la vipère.

La froide clarté de l’ampoule, le silence, la pluie sur le toit, la ville endormie à l’entour, la chambre aux meubles disloqués, est-ce bien le monde réel ? Les choses ont un air fou et ensorcelé. Et c’est cela même qui sauve Geneviève de l’épouvante. Elle ne s’affole plus. Elle est calme, lucide, insensible, comme en songe.

— Je suis gardienne des scellés, dit Renaude, et responsable devant la loi. On n’a pas le droit de toucher aux meubles.

— Les scellés n’étaient pas sur ce meuble qui m’appartient.

— Descendez immédiatement, madame Alquier.

— Et vous, sortez d’ici.

— Je suis chez moi. J’ai payé la maison. Je l’ai payée d’avance à votre père que vous laissiez crever dans la gêne, le malheureux.

Geneviève se répète, intérieurement :

« J’ai les lettres, toutes les lettres. Elle ne peut rien. Je ne la crains plus, l’horrible femme. »

Et tout haut :

— Je n’ai pas à discuter avec vous. Les juges diront ce qu’il faut penser de votre créance et du testament de mon père.

— Vous prétendez m’accuser ?

— Je ne vous répondrai pas.

— M’accuser ? Et de quoi ?… De quoi ?… Osez le dire,

— Vous serez prise à votre piège.

— Et vous ?

Geneviève ferme tranquillement le secrétaire.

Renaude ricane :

— Allez-vous donner à une honnête femme des leçons de vertu ?

— Laissez-moi passer, maintenant, je veux descendre.

— Ah ! vous avez trouvé ce que vous cherchiez ? Vous êtes contente ?… Eh bien, vous ne descendrez pas. J’ai à vous parler, moi ! Et vous m’écouterez.

— Je ne vous écouterai pas.