Page:Tinayre - L Ennemie intime.pdf/116

Cette page n’a pas encore été corrigée


III

Cette vibration mélancolique dans la nuit… 1 heure, 1 heure et demie ?… L’horloge de la salle à manger n’en sait rien. Elle est arrêtée et personne n’a songé à la remonter depuis six jours… 1 heure et demie du matin ?… Il y a bien longtemps que Geneviève grelotte dans ce fauteuil. Elle a eu tout juste la force de s’y trainer après le départ de la bossue. Et la terreur lui a tordu la gorge, le cœur, les entrailles.

Ce récit de Maria, quelle lumière sur le passé !

Renaude sait tout : l’amour de Geneviève, le nom de son amant, l’arrangement de leurs rendez-vous, tout ce que contenait la lettre bleue. Quand Geneviève est partie dans la voiture de Bailsset, Renaude a pu la suivre, minute par minute, connaissant le programme de la journée et l’emploi de la nuit. Elle a pu se dire : « Voilà Mme Alquier qui arrive à la gare d’Argentat. Elle est chez sa marraine. Elle repart. Elle rencontre son amant… » et le lendemain. : « Elle raconte à son mari qu’elle a manqué le train. Et il la croit. Les maris sont si bêtes ! »

Avoir eu, dans sa vie la plus secrète, ce témoin, cette ennemie cachée !… Avoir, sous ces yeux impassibles, souffert, tremblé, sangloté, sans soupçonner qu’elle voyait tout, comprenait tout, jugeait tout et n’oubliait rien. Et maintenant, être dans sa main, à sa merci… quelle horreur !

Tout ! Elle sait tout ! Et Capdenat savait tout. Ils ont préparé, ensemble, ce châtiment qui va frapper Geneviève. Quel châtiment ? Sous quelle forme ? Comment le prévoir ?… Abominable angoisse d’attendre…

» J’en mourrai, c’est certain. J’en mourrai. Je ne subirai pas cette honte, et la colère de Lucien… Je n’ai pas la force de souffrir. J’en mourrai. »

La paix. Le sommeil éternel. Cette chose étendue sous le drap… Non, ce n’était pas effrayant…

« Si Bertrand était encore mon Bertrand, à moi, je lui crierais : « Au secours ! » Mais je suis seule…

» Des preuves ?… Voyons, voyons, un peu de calme !… Elle a lu une lettre, mais les autres sont dans le secrétaire, et la clef ne m’a pas quittée…

» Ma maladie !… Elle a pu avoir mes clefs pendant ma maladie ?…

» Mais elle ne connaissait pas le secrétaire… à moins que… Oui, ce soir où le domestique du docteur est venu… elle est montée à la chambre haute… Elle m’a dit : « Oh ! comme Madame est pâle ! … * Elle avait déjà lu la lettre.

» Mon Dieu, que faire, où aller ?… Mon Dieu, sauvez-moi !

» … D’abord, le secrétaire. Prendre les lettres dans le secrétaire, les compter, pour savoir si elle en a volé, et combien, et lesquelles…

» Du sang-froid. Allons ! Tout n’est pas perdu ! Elle s’est peut-être vantée. Elle sait tout, mais elle n’a rien. Pas de preuves. Qu’elle m’accuse, je pourrai lui répondre, moi aussi : « Vous êtes hystérique, et vous avez des visions. »


La maison est une toile obscure où se dissimule l’araignée aux aguets. On ne la voit pas, mais les moindres mouvements qui remuent imperceptiblement la toile l’éveillent et l’avertissent. Il faut passer doucement devant le lieu où elle gîte. Qu’il est long, ce corridor dallé ! Dehors, la pluie jase à petit bruit. Deux coups de cloche ébranlent la nuit. 2 heures.

La lampe éblouissante éclôt dans le puits de l’escalier blanc. On n’a pas mis les scellés sur la porte de la chambre haute. Est-ce un oubli du juge ? A-t-on pensé que cette dépendance du grenier ne contenait que des objets sans valeur ? Geneviève donne la lumière. La chambre a toujours le même aspect, avec la table noire, le