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à mes enfants. Les malheurs qui me sont venus de mon fils et les conditions d’existence qui m’ont été imposées par ma fille ont compromis cette fortune. Ayant perdu beaucoup d’argent, mais espérant rétablir mes affaires, j’ai accepté, en prêt amical, de Mademoiselle Renaude Vipreux, ma gouvernante, une somme de cent cinquante mille francs, de quoi je lui ai donné reçu.

En reconnaissance de ses soins et de son dévouement, je lui lègue à ladite Renaude Vipreux, en toute propriété, ma maison des Cornières, tante meublée et garnie, à l’exception des portraits et papiers de famille. C’est une manière de rembourser, en partie, ma dette, si je n’ai pu le faire effectivement et complètement avant mon décès.

Je n’ai rien voulu demander à mes enfants qui m’ont abandonné en se désintéressant de moi. Je ne leur dois rien et suis en paix avec ma conscience.

Fait à Villefarge (Aveyron), 3, place des Cornières, le 20 février 1928.

Anthime Capdenat.


Le notaire ajouta :

— Dans le coffre-fort de M. Capdenat, nous avons trouvé une somme de trois mille cinq cents francs. Il peut y avoir d’autres fonds et des titres en banque. Nous le saurons bientôt.

Un silence de quelques secondes, qui parut très long.

Lucien Alquier parla le premier.

— Puis-je voir ce chef-d’œuvre ?

Le notaire lui tendit le testament. Il le relut, à haute voix, en insistant sur certaines phrases : « Malade de corps, mais sain d’esprit… » Hum ! … « … seins et de son dévouement … » Hum !… « … en règle avec ma conscience… » Hum !…

Il rendit le papier à Me Beausire et fit un petit salut de la tête à Mlle Vipreux qui était absolument immobile.

— J’ai dit « chef-d’œuvre », je le répète. Tous mes compliments à la collaboratrice !

Cette fois, Renaude bougea.

— Monsieur veut-il insinuer que j’ai collaboré au testament de M. Capdenat ?

— Insinuer ? Oh non ! J’affirme, dit Alquier d’une voix douce.

Et comme Geneviève allait parler, il l’arrêta :

— Permettez, chère amie. Vous m’avez fait confiance, n’est-ce pas ? Je vous représente, vous et votre frère. Laissez-moi conduire ceci.

Et toujours sur le même ton de suave politesse :

— Mlle Vipreux voudra bien justifier sa créance et nous expliquer…

Renaude ouvrit son sac à main.

— Maître Beausire, voici les reçus signés de M. Capdenat. Ils sont en règle et mes droits ne peuvent être honnêtement contestés. Quant à m’expliquer… Que voulez-vous dire, monsieur Alquier, et quelles explications vous dois-je ? Je possédais une somme — énorme pour moi — et je désirais la placer en première hypothèque. Maître Beausire, je vous ai consulté au sujet de ce placement.

— Un placement de cinquante mille francs, en effet.

— J’ai préféré offrir la somme entière à M. Capdenat, pour l’obliger, et aussi parce qu’il m’avait assuré qu’il la doublerait bientôt. Il spéculait. Il disait qu’il avait des tuyaux… Avions-nous à le crier sur la place publique ? M. Capdenat m’a demandé le secret, même avec ses enfants, surtout avec ses enfants. Il avait ses raisons…

Les yeux pointèrent vers Geneviève et revinrent heurter le regard de Lucien :

— J’en pourrais dire long… Je vous conseille d’être prudent, monsieur Alquier. Madame est plus sage que vous. Elle se tait.

— Parce que je l’ai priée de se taire.

Un tremblement agitait les mains de Renaude.