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PREMIÈRE PARTIE

I


La fenêtre ouvrait dans la galerie même qui entoure de ses arcades aux piliers trapus l’antique place des Cornières.

6 heures, à peine, et déjà c’était la nuit sous le plafond bas de cet entresol où se tenaient M. Capdenat et sa fille. L’air avait le goût poussiéreux des pièces encombrées d’étoffes, mal entretenues et mal aérées. Des rideaux à baldaquin, des portières épaisses imitaient les tapisseries flamandes. Contre les murs couverts d’un papier moutarde à palmettes brunes, s’alignaient des chaises de cuir. Le buffet Henri II, sculpté sous la présidence de Carnot, montrait un luxe confus de colonnes torses, de rinceaux, d’acanthes et deux trophées de gibier sur les panneaux. Un tapis assorti aux tentures cachait la table ronde. La suspension, transformée en lustre électrique, ayant gardé son dôme vert. La cheminée s’enorgueillissait d’une coupe en bronze et de deux candélabres qui ne servaient à rien. De chaque côté se faisant pendant miroitaient les cadres inclinés de deux photographies agrandies.

Devant la fenêtre, une cage, montée sur un pied de bambou, emprisonnait un couple de canaris, et la perspective de la place apparaissait à travers le grillage fin. Nulle part le ciel n’était visible, non plus que les toits à grandes lucarnes et le docker carré de l’église. Ce qu’on voyait, c’était la file des arcades, avec des boutiques enfoncées dans l’ombre, le perron de la Maison des Consuls, le porche de Saint-Martial. Il fallait se coller aux vitres pour apercevoir obliquement la fontaine aux trois lions de pierre, devenue le piédestal d’un affreux Soldat, image symbolique des enfants de Villefarge morts pendant la guerre.