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Hellé

les stances du souvenir, puis le furieux transport, l’invocation à Aphrodite, clamée d’une voix de colère et de désir, avec un redressement du corps, un geste des bras tendus qui faisaient éclater en bravos la salle conquise et haletante.

En quelques minutes, Noémi Robert avait assuré le triomphe du poète, si étroitement associé à son triomphe personnel, que ni le public ni moi-même ne distinguions plus le génie de l’interprète du génie de l’auteur.

Le drame continua, mêlant aux amours de Phaon et de Mélissa les angoisses jalouses de Sapho, les tristesses d’Alcée. Et quand le rideau retomba sur les imprécations de la poétesse, éclairée enfin, ce furent des trépignements, des rappels, une folie déchaînée et contagieuse qui me saisit malgré moi. Prise de vertige, incapable de maîtriser mes nerfs, je sentis couler des larmes involontaires…

Si violente fut cette crise d’exaltation intérieure que je n’entendis point s’ouvrir, puis se reformer, la porte de la petite loge. Une main toucha mon épaule, un souffle brûla ma joue, une voix frémissante appela :

— Hellé !

C’était Maurice, pâle, ému, mais rayonnant de la double victoire que la clameur grondante et mes larmes lui promettaient. Sans que j’eusse rien dit, sans qu’il eût murmuré une prière, je me trouvai dans ses bras ; la rumeur de la salle souleva vers lui mon âme éperdue… Deux mots, un baiser, une promesse… Ce fut tout. Nous restâmes côte à côte, en silence, épuisés, enivrés, la main dans la main, pendant que le rideau se relevait sur la grève désolée de Leucade. Les flûtes pleuraient lugubrement à l’unisson du cœur… Alcée, Mélissa, Sapho, tour à tour reparurent. Le drame du fatal amour se dénoua dans la splendeur lyrique des lamentations.

Et ce fut l’adieu de la poétesse à la terre natale, à la douce lumière ; ce fut l’invocation à l’Éros souterrain qui guide dans les champs d’asphodèles les ombres infortunées des amants.

Une clameur triomphale clama la chute du rideau, qui se releva plusieurs fois sur Noémi Robert, oppressée, souriante, heureuse. Alcée jeta enfin le nom de l’auteur à travers la tempête des bravos et Maurice, qui me tenait embrassée, frémit malgré lui, dans l’ombre.

Derrière nous, soudain la porte craqua.



— VOS AMIS VOUS RÉCLAMENT.

Désenlacés, nous nous séparâmes, et j’aperçus Antoine Genesvrier.

— Clairmont, dit-il, vos amis vous réclament. On vous cherche partout. Allez jouir de votre succès…

— J’y vais, dit Maurice, qui semblait ivre… Adieu, Hellé, au revoir !

Il sortit. Antoine resta debout à la place qu’il venait de quitter. Puis, le bruit décroissant, il dit :

— Venez-vous, Hellé, avant que les couloirs soient envahis ? Je vous accompagnerai, si vous le permettez.

— Oui… balbutiai-je.

Il réclama à l’ouvreuse le capuchon de