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Hellé

— Attendez ! L’eau, inondant les tempes, découvrit enfin la couronne : je reconnus Perséphone à son diadème de narcisses, — et je vous revis, Hellé, dans le jardin printanier, au clair de lune, parée de fleurs étoilées, comme la vierge d’Éleusis. Pareille à votre sœur de marbre, vous m’étiez apparue à travers les laideurs et les fanges de la vie moderne, comme un type de beauté éternelle. Mais vous viviez. Un jeune sang courait dans vos veines. Une âme habitait votre front. Delphes avait gardé la Perséphone souterraine ; j’avais rencontré la déesse elle-même échappée de l’Hadès et ressuscitée sous un autre ciel.

— Rêve de poète, dis-je en souriant, rêve flatteur et gracieux.

Il baissa la voix :

— Cette ressemblance m’émut comme un présage. Tout le jour, puis toute la nuit, je pensai à vous, parmi les rochers prophétiques, sous l’éther où tournaient les constellations sacrées aux noms sonores… Que faisiez-vous ? Où étiez-vous ? M’aviez-vous tout à fait oublié ?

Le thé noircissait dans la théière refroidie… Par quel prodige l’ancien enchantement s’était-il renouvelé ? Je ne pouvais détacher mes yeux des yeux de Maurice, bleus comme la mer où naquit l’amour.

— Non, murmurai-je malgré moi, je ne vous avais pas oublié.

— Eh bien, Hellé ? fit madame Marboy.

Je crus m’éveiller, tressaillante.

— Nous parlions des fouilles de Delphes, dit Maurice en se levant. Je racontais à mademoiselle de Riveyrac que j’avais assisté à la découverte du fameux Aurige de bronze.

— J’ai vu une gravure de cet Aurige, dit Genesvrier. N’est-ce pas, la draperie ?…

Je ne les écoutais plus. Machinalement, je versais le thé, éclairci d’eau chaude. En l’offrant, je rencontrai le regard paisible d’Antoine, et je compris que ma causerie à mi-voix avec Maurice n’avait éveillé en lui aucun émoi jaloux… Pourquoi donc, sous ce regard confiant, tendre, heureux, un remords opprima-t-il mon âme ?


XX


Antoine avait déjeuné avec moi. Il allait me quitter, quand Babette introduisit Maurice Clairmont.

— M’excuserez-vous, mademoiselle ? Je viens vous demander conseil, — dit le poète qui semblait un peu gêné de la rencontre et désireux d’expliquer sa visite inattendue. Les répétitions de Sapho vont commencer, et Noémi Robert souhaite quelques modifications. Je voudrais lire à mademoiselle de Riveyrac certains passages de mon drame et prendre son avis.

— Assurément, Hellé vous sera de bon conseil ! dit Genesvrier, sans que je pusse distinguer dans son accent une nuance d’ironie.

Il se leva pour partir.

— Et vous, Genesvrier, dit Clairmont, que faites-vous ? Je sais que vous dirigez l’Avenir social. Mais votre livre va-t-il enfin paraître ?

— Bientôt. J’ai malheureusement, moi aussi, des retouches à faire, auxquelles mademoiselle de Riveyrac ne peut m’aider.

Ils échangèrent une poignée de main, et j’accompagnai Genesvrier jusqu’à la grille extérieure.

— Vous n’attendiez pas monsieur Clairmont aujourd’hui ? me dit-il.

— Antoine, est-ce que vous êtes fâché contre moi ?

— Contre vous, chère petite ? dit-il avec tendresse. Et pourquoi donc ?

— J’ai craint… une minute… que la visite de monsieur Clairmont ne vous ait déplu.

— Et vous êtes assez loyale pour m’avouer ce souci… Eh bien, je vous en estime davantage, chère Hellé. Non, dit-il en redressant sa haute taille, — ne vous y trompez pas : je ne prétends avoir aucun privilège d’amoureux ; je n’y ai aucun