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Hellé

— Merci, Hellé ! fit-il d’une voix étouffée.

Il baisa mes mains et détourna la tête pour cacher son émotion.

— J’entends qu’on vient, murmura-t-il en reprenant son attitude impassible.

— C’est madame Marboy.

La porte s’ouvrit. C’étaient madame Marboy et Maurice Clairmont.


XIX


— Je vous amène un revenant, Hellé ! dit ma vieille amie. Maurice est à Paris depuis quelques jours. Il est venu me demander à dîner ce soir ; je l’ai prié de m’accompagner.

— Vous avez bien fait, chère madame… Vous voila revenu sain et sauf, monsieur Clairmont ? Êtes-vous content de votre voyage ? Nous ne nous attendions pas à vous revoir si tôt.

— Je vous expliquerai les raisons de mon brusque retour, répondit le jeune homme en serrant la main que je lui tendais. J’ai appris le malheur qui vous a frappé, mademoiselle, et j’en ai ressenti une peine sincère. Monsieur de Riveyrac était un de ces hommes qu’on n’oublie point et qu’on voudrait revoir.

Il demanda quelques détails sur la mort de mon oncle, d’un accent de sympathie vraie. Puis il échangea quelques mots avec Genesvrier.

— Il parait, dis-je, que vous avez été pris par des brigands ? Il y a encore des brigands en Grèce ? Mon pauvre oncle en était charmé.

— Les brigands que j’ai rencontrés étaient de fort bons diables, mademoiselle. Je leur ai payé rançon, et nous nous sommes quittés dans les meilleurs termes.

— On m’avait conté que vous les aviez enrôlés contre les Turcs.

— Il y a toujours un peu d’exagération dans les histoires de voyage… En réalité, je n’ai pas vu l’ombre d’un soldat turc… J’ai visité la Grèce ; j’ai salué en passant votre ami monsieur Walter, l’homme en bois, qui me faisait penser à l’homunculus de Faust égaré dans le sanctuaire de Phébus Apollon. J’ai vu les grottes du Parnasse, où les habitants de Delphes se réfugièrent pendant l’invasion médique, lorsque le Dieu écrasa les Perses sous une pluie de rochers. J’ai vu l’aube et le soir dorer le Parthénon. J’ai erré, comme Ulysse, sur la mer des Cyclades… Enfin je me suis reposé à Corfou, Corfou la délicieuse, et j’y ai achevé un drame que Noémi Robert va jouer.

— Bientôt ?

— Cet hiver. Imaginez-vous, mademoiselle, que la grande tragédienne comptait représenter une comédie lyrique de Pierre Cabarus. C’était l’unique ouvrage en vers de la saison… Mais Cabarus est tombé malade, et il a fallu remettre les répétitions au printemps. Un ami bienveillant et influent m’a averti. Sapho était prête. J’ai pris le premier bateau pour Marseille. Je suis tombé chez Noémi comme un aérolithe. Et, lundi dernier, la divine personne m’a déclaré qu’elle allait mettre mon drame à l’étude et qu’elle créerait le rôle de Sapho.

— Vous voilà sur le chemin de la gloire ! dit en souriant Genesvrier.

— Maurice ira jusqu’au bout du chemin, fit madame Marboy. Il paraît qu’en haut lieu on s’intéresse fort au succès de sa pièce.

— En haut lieu ?

— Parfaitement… Rébussat, le nouveau ministre des Beaux-Arts…

— C’est-à-dire, interrompit Maurice, que je l’ai rencontré chez ma cousine de Nébriant… Mais vous le connaissez, Genesvrier ! Je crois même que vous n’êtes pas très bien ensemble…

— Je l’ai connu autrefois, assez pour le mépriser.

— Mon Dieu, fit Clairmont après un silence, je sais qu’on dit beaucoup de mal de Rébussat. Cela ne prouve rien… À Paris, dans le monde des lettres, on se calomnie comme on s’encense.

— J’ai pu juger Rébussat. C’est un homme de palinodies et de mensonges. Le père Lethierry l’avait accueilli, patronné à ses débuts… Quand Lethierry