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Hellé

— Et vous n’avez pas songé que je serais heureux de partager vos fatigues ! murmura-t-il d’un ton de reproche.

— Venez, dis-je. Il nous attend.

Nous montâmes au premier. Une joie éclaira les yeux de mon oncle lorsque Genesvrier serra doucement la main qu’il n’avait plus la force de soulever. D’un mouvement de tête, il me fit signe de me retirer. Je les laissai seuls.

— Babette reste auprès de monsieur de Riveyrac, me dit Antoine Genesvrier. quand il sortit de la chambre. Votre oncle repose. Il souhaite que vous me fassiez visiter le jardin et la maison. Feignons d’accéder à son désir.

— Comment le trouvez-vous ?

Il hésita :

— Pas bien… Ne vous désolez pas, Hellé. Son état est grave, mais il n’est pas désespéré… Venez. Racontez-moi en détail les phases de sa maladie.

Tout en parcourant le jardin, je fis à mon compagnon le récit qu’il me demandait. Bien qu’il se composât un visage impénétrable, je devinai qu’il était profondément inquiet.

Ensemble, au chevet de mon oncle, nous veillâmes de longues nuits, et, quand mes forces défaillaient, il suffisait d’un mot de Genesvrier pour me rendre sinon l’espoir, du moins le courage. À peine nous parlions-nous : dans le silence de la chambre, où parfois je sentais passer la mort, nous avions appris à nous comprendre par le geste et le regard.

À travers la première léthargie qui précède le sommeil, entre mes cils lourds, je voyais Antoine, immobile au pied du lit, dans le tremblant reflet de la veilleuse ; je sentais la douceur de ses yeux graves qui ne se détournaient du malade que pour se reposer sur moi.

Un matin, à l’éveil blanchissant du jour, mon oncle parut soulagé. La fièvre avait presque disparu ; l’oppression diminuait, la respiration était moins sifflante.

Tandis que Genesvrier, penché sur lui, prenait sa température, je respirai, envahie d’un joyeux espoir.

— Monsieur de Riveyrac s’assoupit, dit Antoine en se relevant. Appelez Babette ou Marie pour nous remplacer un instant. Je voudrais vous parler, Hellé.

Marie Lamirault s’assit dans mon fauteuil, Genesvrier lui dit quelques mots, puis il m’emmena.

Nous entrâmes dans l’ancienne chambre de tante Angélie, que j’avais attribuée à notre hôte.

— Eh bien ! dis-je, il est mieux, il va guérir ?

— Hellé, murmura Genesvrier, il est temps de vous avertir… l’heure est proche où vous aurez besoin de tout votre courage…

— Mon oncle !

— Il est très mal… Cette accalmie m’inquiète plus que les crises d’hier… Soyez forte, Hellé.

Il me sembla que la maison croulait. Je ne criai pas ; je ne pleurai pas. Muette, je regardai Antoine avec des yeux qui voulaient l’interroger encore.

Il me prit la main.

— Hellé, ma pauvre chère Hellé, que j’ai pitié de vous !

— Mon oncle… mourir…

J’éclatai en sanglots déchirants.

— Il va mourir… lui qui était tout pour moi, mon père, mon maître, mon ami… lui que je chérissais, lui que je vénérais… Oh ! faites quelque chose, Antoine, tentez l’impossible, je vous en prie, sauvez-le !

Il posa sa main sur mon épaule, et je me trouvai appuyée contre sa poitrine, comme dans le seul refuge où l’instinct pût me jeter. Et pendant que mes larmes coulaient, j’entendis sa voix près de mon oreille :

— Pleurez maintenant, Hellé, pleurez sans contrainte, car il ne faudra pas pleurer devant lui. Je ne vous donnerai pas de consolations banales, mais au moins vous sentirez que vous n’êtes pas seule, qu’un ami vous reste et qu’il partage votre deuil… Chère Hellé, je souffre de l’amitié qui va se briser, mais je souffre aussi de votre souffrance.

— Vous êtes bon… balbutiai-je sans savoir ce que je disais.