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Hellé

XIV


« Cette bonne dame est parfaitement folle, pensai-je après la sortie de madame Gérard. Elle ne peut pardonner à Genesvrier de n’avoir point étalé chez elle son génie et son marquisat. Il est certain qu’il préfère la société de mon oncle… Les médisants expliquent son assiduité par l’amour, car partout où un homme et une femme sont en présence, on cherche la petite aventure sentimentale. Quelle ridicule idée ! Genesvrier amoureux !… »



POURQUOI ME CHERCHER UNE QUERELLE…

Je songeai que la colère de madame Gérard était significative, et que la « grosse pie », si odieuse à l’oncle Sylvain, avait dû s’épancher déjà dans le sein de plusieurs confidentes. Peut-être la moitié des gens que je rencontrais chez les Gérard étaient-ils informés de la prétendue passion de Genesvrier — peut-être la crainte d’être devancé par le « marquis » avait-elle précipité la déclaration de Lancelot… Je prévis de sots commérages.

Si j’avais été seule en cause et tout à fait libre, je n’y aurais attaché aucune importance, mais je savais qu’une vieille affection unissait mon oncle et M. Gérard. Je voulais empêcher la rupture. L’idée me vint de me confier à madame Marboy, qui pourrait, au besoin, prévenir les imprudences de son amie.

Il était cinq heures. Mon oncle ne devait pas rentrer avant le dîner. Je pris une voiture et je me fis conduire rue Pergolèse. Madame Marboy était seule, par bonheur. Je lui racontai la visite de madame Gérard, la proposition faite au nom de M. Lancelot, et les sentiments invraisemblables qu’on prêtait à Genesvrier.

Madame Marboy commença par rire, puis elle devint grave.

— J’imagine, me dit-elle, que vous ne croyez pas un mot des sottes calomnies qu’on vous a débitées à propos de mon neveu. J’en aurais un extrême chagrin.

— Vous pouvez vous rassurer, bonne chère amie. Je crois monsieur Genesvrier incapable d’un sentiment bas… de même que je le sais incapable d’amour.

— Mon Dieu ! dit madame Marboy avec un sourire, on ne sait jamais, ma chère enfant, si un homme supérieur est incapable d’amour. Il me parait, au contraire, beaucoup plus exposé à la passion qu’un médiocre.