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Hellé

féminin, si triste sous sa couronne, était le génie de ce lieu.



DANS CE CADRE CRÉÉ…

Pendant que mon oncle rappelait l’objet de sa visite, je contemplais Genesvrier debout à contre-jour. Dans ce cadre créé par lui, et qui reflétait sa vie austère, il était mieux et plus à l’aise que dans le salon de madame Marboy. Il n’était ni gracieux, ni élégant, mais il n’était point vulgaire. Il avait la stature d’un homme fait pour commander, de larges épaules, qui eussent porté sans défaillance un siècle d’acharné labeur, des sourcils proéminents, des yeux au regard lent et fixe. On sentait en le voyant que cet homme, affranchi de tout besoin de vanité, de toute superstition de caste, n’obéissait qu’à lui-même. Avant de susciter la sympathie, il imposait l’attention, il forçait au respect.

— Ma bibliothèque est à votre disposition, dit-il à mon oncle. Je me ferai un plaisir de vous prêter tel livre qui vous conviendra. Quant à ceux que vous désirez acquérir, j’en veux ignorer la valeur marchande, et votre prix sera le mien.

L’oncle Sylvain se récria :

— Vous me mettez dans un embarras extrême ; je ne suis malheureusement pas assez riche pour satisfaire ma passion des beaux livres, mais je ne voudrais point profiter de votre volontaire ignorance et vous exposer à des regrets.

— Ne craignez rien, monsieur. Depuis que j’ai eu l’honneur de vous rencontrer, il m’est venu une singulière répugnance à remettre ces livres aux mains d’un marchand. Ce me serait un plaisir de les savoir chez vous, en bonne place. Je n’ai point, pour beaucoup de raisons, le loisir ni le moyen d’être un vrai bibliophile, mais j’ai le respect des vieux livres. Je dirais que j’y sens des âmes, si j’étais poète comme Clairmont.

Je levais des yeux étonnés.

Il reprit en souriant :

— Ce jargon poétique ne m’est pourtant point familier, et, sachant que vous devinez mon sentiment, je n’ai pas à l’expliquer davantage. J’ai donc un vif désir de vous céder ces volumes, s’ils vous plaisent. Aussi, je vous le répète, votre prix sera le mien.

Il ouvrit la petite armoire et prit une douzaine de volumes à reliure fauve. Mon oncle mit ses lunettes pour les examiner. Il y avait une Bible de 1650, ornée de gravures sur bois, un Erasme, un Rabelais et quelques ouvrages philosophiques du xviiie siècle.

L’oncle Sylvain regarda curieusement les titres, les dates, l’état des reliures, la beauté des fers.

— Cher monsieur, dit-il, vous n’avez peut-être aucune expérience de la valeur que représentent ces livres. Je choisirai ce qui me conviendra, et je vous adresserai des hommes de goût qui seront charmés d’acheter le reste. Ils l’apprécieront aussi bien que moi et le paieront mieux que je ne puis le faire.