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Hellé

vole au cerveau d’enfant, aux gentillesses de singe ? Je ne regrette pas de m’être dévoué à toi, entièrement. En te voyant grandir et fleurir selon mes vœux, j’ai connu ce que le sentiment paternel a de plus doux et de plus rare. J’ai été ton père, ton maître, ton éducateur. Tu as pu croire, mon enfant, que j’étais égoïste en te gardant près de moi, en retranchant de ta vie les amusements familiers aux jeunes filles de ton âge. Je t’ai même assez brutalement reconquise sur ma pauvre sœur. Mais il fallait, pour achever mon œuvre, écarter de toi les contagions morbides, les puérilités mondaines, un mysticisme néfaste à la raison. Je t’ai modelée sur l’immortelle et gracieuse image d’Hypathie.



ET, LA MAIN POSÉE SUR MON ÉPAULE…

— Ah ! m’écriai-je, je suis bien heureuse d’avoir trouvé un père tel que vous.

Il sourit.

— Pourtant, mon Hellé, je vieillis, et je n’atteindrai pas l’âge du Centaure, éducateur d’Achille, que je devrais prendre pour patron. Je tremble de te laisser seule ici. Les gens de ce pays sont des barbares. Ils ne comprennent ni l’ordre, ni la beauté, mais ils ont un sens grossier de la grâce qui te vaudrait l’injure de leur amour. Il faut partir, ma chère fille. Il faut que tu connaisses la vie et les hommes pour choisir ton compagnon. Je le sais, ma petite, tu ne tiens pas à grossir de ta dot les rentes d’un boutiquier. Il est probable que tu épouseras un homme pauvre. Encore faut-il qu’il soit digne de toi.

Je répondis :

— Mon oncle, je ne pense pas encore au mariage. Je suis très heureuse près de vous. Assurément, je n’épouserais pas