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Hellé

— Hellé, reprit-il doucement, j’ai ouï dire des choses étranges… Vous avez rompu vos fiançailles avec Clairmont ? Je fis un signe affirmatif.

— Madame Marboy me l’a raconté, et je n’ai rien compris aux commentaires dont elle accompagnait son récit… Elle m’a presque accusé d’être intervenu dans vos amours, de vous avoir poussé à la révolte. Elle parlait par allusions mystérieuses et semblait ne dire les choses qu’à moitié. Je ne sais rien de plus, Hellé. Marie Lamirault m’a appris votre départ. J’ai été mille fois tenté de vous écrire ; mais vous m’aviez promis une lettre qui n’arrivait pas, et, je vous l’avoue, j’ai eu peur… Ah ! j’ai vécu trois mois de cauchemar, ma pauvre amie !

Des larmes montèrent à mes yeux. Il me considérait en silence.

— Vous pleurez ! dit-il… Qu’avez-vous fait, imprudente ? Par quel caprice avez-vous détruit un bonheur que vous regrettez sans doute ? Vous pleurez, donc vous aimez encore, et je devine…

Je secouai la tête.

— Ah ! dit-il avec un sourire navré, vous que je croyais sage et forte, l’amour vous ramène des chagrins d’enfant. Vous boudez contre votre cœur… Mais qu’avez-vous donc, Hellé ? Votre peine est donc si vive ? Vous ne pouvez parler ? Eh bien ! pleurez, si cela vous fait du bien. Je ne vous questionnerai pas davantage. Je sais seulement que vous êtes malheureuse, et que je voudrais vous consoler. N’étais-je pas, naguère, votre meilleur ami ? Comme vous êtes maigrie et pâle, mon enfant !

Bouleversée par l’émotion, la tête perdue, ne sachant plus que dire, je cachais mon front dans mes mains. Il les écarta, comme pour m’encourager aux confidences, et je vis resplendir sur son visage la beauté poignante de l’amour et de la pitié. Nous nous taisions tous deux, mais, d’un mouvement gauche et tendre que je ne calculai pas, je voulus détourner la tête, et je rencontrai l’épaule d’Antoine où j’appuyai mon front rougissant.

Il balbutiait :

— Hellé…

Je le sentis frémir tout entier… Sa main, impérieuse et apaisante, pesa doucement sur mes cheveux.

— Dites-moi tout, amie ! (Sa voix basse tremblait un peu.) Je n’ai point changé. Plus qu’autrefois, s’il est possible, je vous veux heureuse, ardemment. Votre oncle ne vous a-t-il pas confiée à ma tendresse ? Vous savez que je n’ai point de rancune… et que je vous aime toujours… Et c’est justement parce que je vous aime que je compatis à votre détresse. Je ne puis vous voir pleurer, cela me fait mal, et pourtant ! Ces larmes qui roulent pour un autre, ces larmes qui me brûlent le cœur, ah ! Hellé, c’est avec une joie amère, étrange, que je vous les vois verser près de moi. Si vous êtes accourue ici, dans le paroxysme de la tristesse, c’est que je ne suis pas devenu pour vous un étranger. Hélas ! ma pauvre petite, je suis bien impuissant et malhabile à vous consoler, Je parle mal. Les mots me trahissent… Hellé, Hellé, est-ce bien vous ? Je ne puis croire à votre présence… Demain, quand vous aurez oublié votre chagrin et ces larmes et celui qui n’osa point les essuyer, demain se refermera pour jamais le cercle de mes rêves solitaires. Je vous chercherai dans ma maison où je n’espérais plus vous revoir… où sans doute vous ne reviendrez plus… Et je souffrirai, Hélas ! je ne suis qu’un homme, et je connais ces crises qui détendent le plus mâle courage, la plus ferme volonté… Mais je vous aurai revue, amie. J’aurai touché ces petites mains, ces cheveux blonds… Ah ! pleurez longtemps, restez longtemps ainsi… si vous saviez… La vie, la vie inclémente me donne, en cette brève minute, plus que je n’osais lui demander !

Mes larmes, non plus âcres, mais délicieuses, coulaient toujours, prolongeant l’erreur de Genesvrier. Gagné peu à peu par mon trouble, il révélait sa passion en d’involontaires aveux dont l’accent inconnu me surprenait dans cette bouche. Il ne songeait plus à me demander le récit que je ne songeais plus à lui faire. La nouveauté des émotions qui nous agi-