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Hellé

— Comptez sur moi, ma bonne Marie… J’ai encore du travail à vous donner.

Elle me tendit un petit paquet enveloppé de papier gris.

— Je suis allée chez monsieur Genesvrier ce matin. Il m’a prié de porter ce livre à mademoiselle.

— Est-ce qu’il y a une réponse ?

— Je ne sais pas.

Sous l’œil inquiet Maurice, je déchirai le papier gris. Il contenait un livre, le Pauvre, tout fraîchement imprimé.

— Dites à monsieur Genesvrier que je le remercie et que je lui écrirai.

Maurice tapotait la table, du bout de ses doigts nerveux.



ELLE PORTAIT LE PETIT PIERRE…

— Qu’est-ce que cette femme ? dit-il quand Marie fut partie.

— C’est une excellente ouvrière que je fais travailler… Je vous ai parlé d’elle…

— Je ne me souviens pas.

— Marie Lamirault.

— Cette fille qui est toujours chez votre ami Genesvrier ?

— Cette fille, elle-même, dis-je, blessée du ton agressif de Clairmont. Elle est très courageuse et très estimable.

— Elle a un enfant naturel.

— Oui.

— Étrange compagnie pour vous, une jeune fille.

— Maurice, dis-je avec fermeté, vous êtes acerbe et malveillant. Je vous prie de m’épargner des réflexions qui m’affligent.

Il se mit à feuilleter le volume que j’avais laissé à la portée de sa main ; puis, d’un air dégoûté et dédaigneux, il le referma. La voix aiguë de madame de Nébriant résonnait dans l’antichambre…

L’hôtel d’Auteuil était charmant, en effet, et le babillage de la baronne, la discussion des divers modes d’aménagement dissipèrent les nuages accumulés sur le front de mon fiancé. C’était une claire journée de février, et nos yeux s’enchantaient de l’azur pâle du ciel, du glauque azur du fleuve aperçu derrière les jardins et les villas qui bordent l’avenue de Versailles. Dans cette lumière à peine vibrante, les lointains apparaissent plus nets, le gris violacé des coteaux de Meudon semblait tout proche, et l’arcade blanche du viaduc, les coques mobiles des bateaux, les vêtements bleus et les ceintures rouges des ouvriers qui travaillaient sur l’autre berge, près des petits peupliers grêles, formaient mille taches colorées, amusantes, qui distrayaient le regard. Maurice y trouva l’occasion d’une tirade sur ce qu’il appelait « le pittoresque industriel ». Mais je souriais péniblement ; j’avais un poids sur le cœur.

Nous revînmes tout droit chez la baronne, et jusqu’au dîner, elle m’assourdit de ses propos. Une dizaine de personnes arrivèrent avant huit heures, et durant tout le repas, puis toute la soirée, on parla modes, sports, scandales, menus potins du Tout-Paris.

J’écoutais, je regardais. Que faisais-je parmi ces gens qui n’avaient avec moi