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avant l’amour

mes féroces, le règne universel de la médiocrité. Je souffrais de cette prescience. À ce moment critique et décisif de la puberté morale, je me sentais sans guide et sans soutien.

Et voici qu’un jour pluvieux de novembre, un caprice de ma marraine nous fit entrer dans une église où prêchait un prêtre inconnu. Il développait avec un art délicat cette parole de saint Jean : « Mes bien-aimés, Dieu est amour. » Et comme s’il eût parlé pour moi seule, ses paroles versaient une myrrhe embaumée, une fraîche lumière dans les ténèbres de mon cœur. Aussitôt — l’extrême jeunesse a de ces ressources généreuses — les souvenirs troubles des scènes qui avaient accompagné ma première communion s’atténuaient, s’effaçaient, reculaient dans un passé chimérique. Les émotions religieuses de mon enfance se coloraient des mirages de mon imagination… Trop jeune pour goûter la vie, trop mûre pour ne point la désirer, je trouvais un aliment à l’ardeur d’amour qui me consumait en silence. Dieu me révélerait donc les joies