Page:Tinayre - Avant l amour.pdf/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
avant l’amour

du passé émergeaient seulement quelques scènes, le parloir du couvent, la chambre de ma mère un jour que la fenêtre était ouverte et qu’il pleuvait, puis des paysages décolorés, le Loch, la chapelle Sainte-Anne, le quai de Saint-Goustan, comme des lambeaux arrachés à quelque ancienne et splendide tapisserie… J’oubliais le nom des religieuses, la direction des rues, l’aspect des maisons et des visages, qui me revenait parfois tout déformé… Ma mère elle-même était une ombre dans un pays de limbes, une silhouette qui s’effaçait sous la fine cendre des jours et des jours…

Bien nourrie, bien vêtue, bien traitée, je trouvai chez mon parrain toute espèce de petites douceurs auxquelles je n’étais pas habituée. Mais je ne sais quel malaise me rendait la maison triste au retour des promenades : était-ce la gêne de vivre dans un lieu qui ne m’était point familier, le silence des repas de famille, l’hostilité latente qui s’épanchait en paroles aigres, en reproches dont je ne comprenais pas le sens et clouait toute la soirée le