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Creusée avant le jour une fosse béante
Trop souvent au réveil me glace d’épouvante ;
Puis j’entends un corps lourd rouler dans ce trou noir
Et ce sont à l’entour des cris de désespoir…
Soudain avec horreur ma fenêtre se ferme
Et j’unis ma prière aux sanglots de la ferme…
Mais pour le catéchisme, allègres, triomphants,
Essaim blond des hameaux, arrivent les enfants ;
Ou l’on sonne un baptême et la noble marraine
Sous le porche gothique entre d’un pas de reine.
Si c’est un jour de noce, alors pourpoints nouveaux
Et robes écarlates inondent les tombeaux ;
Et coups de feu lointains, musettes toutes proches
Rivalisent de bruit avec le bruit des cloches.
Ainsi joie et douleur, je connais tout du sort ;
J’ai devant ma maison et la vie et la mort.

Souvent, pendant la nuit, quand il avait fini d’écrire ou quand l’huile manquait à sa lampe, Brizeux s’approchait de la fenêtre et regardait ceux qui dormaient là.[1]

Ces insomnies du poète, les jeunes filles du bourg, curieuses, les connaissaient bien : elles

  1. Tout dort dans le village et dans le cimetière.
    Les vivants dans leur lit et les morts dans leur bière.
    Lui seul, il veille encore et bien loin dans la nuit,
    Le passant attardé voit sa lampe qui luit.
    Si sa lumière enfin décline faute d’huile,
    Il ouvre sa fenêtre et longtemps immobile,
    Là, devant son logis, il contemple envieux
    Ceux qui sous le gazon tiennent fermés leurs yeux,
    Dont nul amer soupir ne desserre la bouche…
    Heureux dormeurs, toujours tranquilles dans leur couche.