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tait pas seulement au roi que l’on faisait de ces présens, mais aux Odryses les plus en crédit et les plus distingués par la naissance. Car ces peuples, comme tous ceux de la Thrace, ont cet usage opposé à celui des Perses : c’est de recevoir plutôt que de donner, et chez eux, il est plus honteux de ne pas donner quand on vous demande, que d’être refusé quand vous demandez. Il est vrai qu’on abuse du pouvoir pour tirer parti de cet usage, car on ne peut rien faire qu’avec des présens. On voit que ce royaume est parvenu à une grande puissance. De toutes les dominations qui se trouvent en Europe entre le golfe d’Ionie et le Pont-Euxin, c’est celle qui jouit des plus grands revenus en argent et autres espèces de richesses. Pour la force militaire et le nombre des troupes, elle le cède beaucoup à celle des Scythes. Il n’est point de puissance en Europe qui leur puisse être comparée, et même il n’est aucune nation de l’Asie qui, prise séparément, fût capable de résister aux Scythes, s’ils étaient tous réunis : mais pour la prudence et la conduite qu’exigent les diverses circonstances de la vie, ils n’égalent pas les autres peuples.

XCVIII. Sitalcès, maître d’une si puissante contrée, se disposa donc à la guerre. Ses préparatifs terminés, il se mit en marche pour la Macédoine. Après être sorti de ses états, il franchit Cercine, montagne déserte, qui sépare les Sintes des Pœoniens. Il la traversa par un chemin qu’il avait ouvert lui-même en coupant les forêts, lorsqu’il avait porté la guerre à ce dernier peuple. Dans leur route à travers cette montagne, en partant de chez les Odryses, ses troupes avaient à droite les Pœoniens, à gauche les Sintes et les Mèdes. Elles arrivèrent à Dobère, ville de Pœonie. Sitalcès, dans cette marche, ne perdit aucun homme, si ce n’est quelques-uns par maladie ; il en gagna même de nouveaux, car bien des Thraces libres le suivirent pour faire du butin, sans qu’il eût besoin de les inviter. Aussi dit-on que son armée ne montait pas à moins de cent cinquante mille hommes. La plupart étaient de l’infanterie, le tiers au plus de la cavalerie. C’était surtout les Odryses eux-mêmes qui composaient cette cavalerie, et ensuite des Gètes. Les plus belliqueux de l’infanterie étaient les peuples libres descendus du mont Rhodope, et qui étaient armés de coutelas ; le reste était une multitude mêlée, redoutable surtout par le nombre.

XCIX. Rassemblées à Dobère, ces troupes se disposèrent à tomber de la haute Macédoine sur la basse, où régnait Perdiccas. On comprend dans celle-ci les Lyncestes, les Hélimiotes, et d’autres nations de l’intérieur des terres qui leur sont alliées et soumises, mais qui forment des royaumes particuliers. Alexandre, père de Perdiccas, et ses ancêtres les descendans de Téménus, originaires d’Argos, conquirent les premiers ce qu’on appelle aujourd’hui la Macédoine maritime. Ils commencèrent par vaincre dans un combat et par chasser de la Piérie les Pières, qui dans la suite occupèrent Phagrès et d’autres pays au-dessous du mont Pangée, au-delà du Strymon. La côte qui court au pied du Pangée, près de la mer, embrasse ce qu’on appelle encore aujourd’hui golfe Piérique. Ces princes repoussèrent aussi, de ce qu’on nomme la Bottie, les Bottiéens, qui confinent maintenant à la Chalcidique. Ils conquirent une portion étroite de la Pœonie, près du fleuve Axius, depuis les montagnes jusqu’à Pella et la mer. Ils ont aussi sous leur puissance, au-delà de l’Axius, jusqu’au Strymon, ce qu’on appelle la Mygdonie, d’où ils ont chassé les Édoniens. Ils ont repoussé du pays nommé Éordie les Éordiens, dont le plus grand nombre a été détruit et dont les faibles restes se sont établis autour de Physca. Ils ont aussi chassé de l’Almopie les Almopes. Enfin, ces Macédoniens établirent leur puissance sur d’autres nations qui leur sont encore soumises, sur l’Anthémonte, la Grestonie, la Bisaltie, et une grande partie de la haute Macédoine elle-même. Toute cette domination est comprise sous le nom de Macédoine, et quand Sitalcès y porta la guerre, Perdiccas, fils d’Alexandre, y régnait.

C. Les Macédoniens, incapables de résister à l’armée formidable qui s’avançait contre eux, se retirèrent dans les lieux fortifiés par la nature et dans toutes les citadelles. Elles n’étaient pas en grand nombre. C’est Achélaûs, fils de Perdiccas, qui, parvenu à la royauté, éleva dans la suite celles qu’on voit dans ce pays. Il aligna les chemins, mit l’ordre dans les différentes parties du gouvernement, régla ce qui concernait la guerre, monta la cavalerie, arma l’infanterie, et fit plus lui seul, pour rendre son royaume