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LXXII. Ainsi parlèrent les Platéens. Archidamus répliqua en ces termes :

« Ce que vous dites est juste, ô Platéens, si vos actions répondent à vos discours. Suivant ce que vous accorda Pausanias, soyez libres sous vos propres lois, et délivrez les autres Grecs, qui partagèrent alors vos dangers, qui se lièrent avec vous par les mêmes sermens, et qui se trouvent aujourd’hui sous le joug des Athéniens. L’objet de cet appareil et de cette guerre est de leur rendre, ainsi qu’aux autres, la liberté. Vous participez plus que personne à cette liberté. Restez donc fidèles à vos promesses, ou du moins, et c’est ce que déjà nous vous avons conseillé, demeurez en repos, jouissez de vos propriétés, et restez neutres. Conservez l’amitié des puissances belligérantes, sans aider ni l’une ni l’autre à la guerre. Voilà ce qui nous plait[1]. »

Telle fut la réponse d’Archidamus. Les députés, après l’avoir reçue, retournèrent chez eux, et firent au peuple le rapport de ce qui leur avait été dit. Ils furent chargés de répondre que les Platéens ne pouvaient faire ce qu’on leur demandait, sans l’aveu des Athéniens ; que leurs femmes et leurs enfans étaient à Athènes ; qu’ils avaient à craindre, pour leur ville entière, qu’après le départ des Lacédémoniens, les Athéniens ne vinssent les empêcher de tenir ce qu’ils auraient promis ; qu’ils avaient les mêmes craintes de la part des Thébains, puisqu’ils étaient engagés par serment à recevoir les deux peuples, et que ceux-ci tâcheraient encore une fois de prendre leur ville.

Archidamus essaya de les rassurer, et il ajouta : « Remettez-nous votre ville et vos maisons, faites-nous connaître vos limites, donnez-nous en compte vos arbres et tout ce qui peut se compter, et retirez-vous où vous jugerez à propos pendant la durée de la guerre. A la paix, nous vous rendrons tout ; et, jusqu’à cette époque, ce sera un dépôt qui nous sera confié ; nous ferons cultiver vos terres, et nous vous paierons un subside proportionné à vos besoins. »

LXXIII. Les députés rapportèrent ces propositions, et délibérèrent avec le peuple assemblé. La dernière réponse des Platéens fut qu’ils voulaient d’abord communiquer aux Athéniens ce qui leur était prescrit, et qu’ils s’y soumettraient, s’ils pouvaient les y faire consentir. En attendant, ils prièrent les Lacédémoniens de leur accorder une suspension d’armes, et de ne pas ravager leur territoire. Archidamus conclut avec eux un armistice pour le nombre de jours que devait durer vraisemblablement leur voyage, et il respecta la campagne. Les députés de Platée arrivèrent à Athènes, se consultèrent avec les Athéniens ; et, à leur retour, voici ce qu’ils annoncèrent :

« Les Athéniens disent, ô Platéens, que depuis que nous sommes devenus leurs alliés, ils ne vous ont jamais abandonnés quand on vous a fait injure ; qu’ils ne vous abandonneront pas non plus aujourd’hui, et qu’ils vous secourront de toute leur puissance. Ils vous recommandent fortement, d’après le serment de vos pères, de rester fidèles à leur alliance. »

LXXIV. Sur ce rapport des députés, les Platéens arrêtèrent de ne pas trahir les Athéniens, de souffrir, s’il le fallait, que leur pays fût ravagé sous leurs yeux, et de se résoudre à tous les événemens. Ils ordonnèrent que personne ne sortirait plus pour conférer avec les Lacédémoniens, et qu’on leur répondrait du haut des remparts qu’il était impossible de faire ce qu’ils demandaient.

Archidamus prit à témoin, sur cette réponse, les dieux et les héros de la contrée, et prononça ces paroles : « Dieux, qui avez sous votre protection la terre de Platée, et vous, héros, soyez témoins que les Platéens ont les premiers abjuré les sermens que nous avons prêtés en commun ; que nous ne sommes pas venus injustement dans ce pays où nos pères, après vous avoir invoqués, défirent les Mèdes dans cette campagne, que vous leur accordâtes pour leur champ de victoire ; que maintenant, dans ce que nous pourrons entreprendre, nous ne serons point injustes, puisque, sur des demandes convenables, et plusieurs fois réitérées, nous ne recevons que des refus. Permettez que ceux dont l’injustice provoque nos armes soient punis, et que ceux qui viennent légitimement les châtier satisfassent leur vengeance. »

  1. C’est le devoir d’un traducteur de conserver le costume des anciens, et par conséquent de rendre leurs formules avec une exactitude scrupuleuse. Nous avons eu déjà occasion d’observer que manquer à cette loi, c’est ne donner qu’une idée imparfaite de l’antiquité. Cette formule, voilà ce qui nous plait, n’avait pas pour les Grecs toute l’insolence qu’elle aurait pour nous.