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l’état ; tant s’était montré supérieur le génie de Périclès, quand il avait prévu les moyens qui pouvaient assurer une victoire complète et facile à sa patrie dans la guerre du Péloponnèse.

LXVI. Les Lacédémoniens et leurs alliés se portèrent le même été[1] avec cent vaisseaux, contre Zacynthe, île située en face de l’Élide. Elle a pour habilans des Achéens, sortis en colonie du Péloponnèse, et qui étaient alliés d’Athènes. Mille hoplites de Lacédémone s’embarquèrent sur la flotte dont Cnémus de Sparte avait le commandement : ils firent une descente, et ravagèrent la plus grande partie de l’île ; mais ils se retirèrent sans être parvenus à s’en rendre maîtres.

LXVII. A la fin du même été[2], Aristée de Corinthe et les ambassadeurs de Lacédémone, Anériste, Nicolaûs et Stratodème, avec Timagoras de Tégée, partirent pour l’Asie : Polis d’Argos se joignit à cette ambassade en son propre nom. Ils se rendaient auprès du roi, pour essayer s’ils ne pourraient pas l’engager à fournir de l’argent et des troupes auxiliaires. Ils allèrent d’abord en Thrace conférer avec Sitalcès, fils de Térès, pour lui persuader, s’il leur était possible, de renoncer à l’alliance d’Athènes et de secourir Potidée que les Athéniens assiégeaient. Ils voulaient qu’il cessât de prêter à ceux-ci des secours, et qu’il leur facilitât à eux-mêmes le passage de l’Hellespont. Ils avaient dessein de le traverser pour se rendre auprès de Pharnace, fils de Pharnabase, qui, de son côté, devait envoyer une ambassade auprès du roi. Mais des députés d’Athènes, Léarque, fils de Callimaque, et Aminiade, fils de Philémon, se trouvaient auprès de Sitalcès. Ils engagèrent Sadocus son fils, qui était devenu Athénien, à leur livrer ces ambassadeurs, dans la crainte qu’ils ne contribuassent à faire attaquer sa ville, si l’on souffrait qu’ils parvinssent jusqu’au roi.

Les ambassadeurs traversaient la Thrace, pour gagner le bâtiment sur lequel ils devaient passer l’Hellespont : ils furent pris avant de s’embarquer. Sadocus avait fait partir avec Léarque et Aminiade des émissaires chargés d’arrêter ces ministres, et de les remettre dans leurs mains. Ils furent conduits à Athènes. Les Athéniens craignaient qu’Aristée, reconnu pour l’auteur de tout ce qui s’était déjà passé à Potidée et en Thrace, ne leur fît encore plus de mal s’il leur échappait. Ainsi le même jour que les ambassadeurs leur furent amenés, ils les firent mourir sans les juger, et même sans les entendre, quoiqu’ils demandassent à parler. Leurs corps furent jetés dans les pharanges. C’était une représaille qu’ils crurent devoir faire contre les Lacédémoniens, qui mettaient à mort et jetaient dans des précipices les marchands d’Athènes et des alliés qu’ils prenaient en mer autour du Péloponnèse. Car, au commencement de la guerre, les Lacédémoniens traitaient en ennemis et faisaient mourir tous ceux qu’ils arrêtaient en mer, soit qu’ils appartinssent à des villes alliées d’Athènes, ou même à des villes neutres.

LXVIII. Vers le même temps, à la fin de l’été, les Ampraciotes, avec un grand nombre de Barbares qu’ils avaient engagés à prendre les armes, attaquèrent Argos, ville d’Amphiloquie, et tout le reste de la contrée. Voici comment avait commencé leur haine contre les Argiens. Amphiloque, fils d’Amphiaraûs, retournant chez lui après le siège de Troie, et mécontent de ce qui s’était passé à Argos[3], conduisit une colonie dans l’Amphiloquie, y fonda, sur le golfe d’Ampracie, une ville nouvelle, et lui donna le nom de celle d’Argos, où il avait reçu le jour. C’était la ville la plus considérable du pays, et elle avait de très riches habitans. Plusieurs générations après, accablés d’adversités, ils engagèrent les Ampraciotes, leurs voisins, à partager leur ville avec eux. Ce fut par ce commerce qu’ils adoptèrent la langue grecque : car le reste de l’Amphiloquie est barbare. Avec le temps, les Ampraciotes chassèrent les Argiens et gardèrent la ville. Ceux d’Amphiloquie, expulsés de leurs foyers, se donnèrent eux-mêmes aux Acarnanes, et les deux peuples réunis implorèrent le secours d’Athènes, qui leur envoya cent vaisseaux sous le commandement de Phormion. A l’arrivée de ce général, ils forcèrent Argos, et réduisirent les Ampraciotes en esclavage. Ceux d’Amphiloquie et les Acarnanes occupèrent la ville en commun. Ce fut à la suite de cet événe-

  1. fin de mai.
  2. Avant le 21 septembre.
  3. Il s’agit ici de la mort de sa mère Êriphile, tuée par Alcméon, son frère.