Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’isthme, et sa lenteur dans le reste de la marche, avaient excité contre lui des rumeurs ; et il devenait encore plus suspect en s’arrêtant devant Œnoé, car c’était dans ce temps-là même que les Athéniens se retiraient dans la ville ; et si les Péloponnésiens avaient accéléré leur marche, et que le général n’eût pas mis de lenteur dans ses opérations, il est vraisemblable qu’ils auraient enlevé tout ce qui se trouvait en dehors.

C’est ainsi que les troupes d’Archidamus s’indignaient de le voir rester tranquille dans son camp. Il n’en persistait pas moins à temporiser, espérant, comme on le dit, que les Athéniens pourraient se montrer plus faciles, tant que leur territoire ne serait pas entamé ; mais ne croyant pas qu’ils se tinssent dans l’inaction, s’ils y voyaient une fois porter le ravage.

XIX. Après avoir essayé contre Œnoé tous les moyens d’attaque sans pouvoir s’en rendre maîtres, et sans recevoir aucune proposition de la part des Athéniens, ils quittèrent enfin la place, quatre-vingts jours au plus après le malheur des Thébains à Platée, et se jetèrent sur l’Attique au cœur de l’été, lorsque les blés étaient mûrs[1]. Archidamus, fils de Zeuxidamus, roi de Lacédémone, continuait de les commander. Ils s’arrêtèrent d’abord à Éleusis et dans les campagnes de Thria, les ravagèrent, et eurent l’avantage sur un corps de cavalerie vers l’endroit qu’on appelle les Ruisseaux[2]. Ils s’avancèrent ensuite à travers la Cécropie, ayant à leur droite le mont Ægaléon, et arrivèrent à Acharnes, l’endroit le plus considérable de ceux qu’on nomme dèmes dans l’Attique. Ils s’y arrêtèrent, y assirent leur camp, et y restèrent long temps à le dévaster.

XX. Voici, dit-on, sur quel motif Archidamus se tenait en ordre de bataille dans les environs d’Acharnes, sans descendre dans la plaine pendant cette première invasion. Il espérait que les Athéniens, qui avaient une nombreuse et florissante jeunesse, et dont jamais l’appareil guerrier n’avait été si imposant, sortiraient de leurs murailles, et ne verraient pas paisiblement ravager leur territoire. Comme ils n’étaient venus à sa rencontre, ni à Éleusis, ni dans les champs de Thria, il essaya s’il ne pourrait pas les attirer en campant autour d’Acharnes. D’ailleurs, l’endroit lui sembla propre à établir un camp, et il était probable que les Acharniens, qui formaient une partie considérable de la république, puisque seuls ils fournissaient trois mille hoplites, ne laisseraient pas désoler leurs campagnes, et se précipiteraient tous au combat. Il supposait encore que si les Athéniens ne sortaient pas pour s’opposer à cette invasion, on saccagerait dans la suite le territoire avec plus d’assurance, et qu’on pourrait même s’avancer jusqu’à la ville. En effet, les Acharniens, dépouillés de leurs propriétés, ne s’exposeraient pas avec le même zèle au danger pour défendre celles des autres, et il y aurait beaucoup de division dans les esprits. Ce fut dans ces sentimens qu’il investit Acharnes.

XXI. Tant que l’armée s’était tenue autour d’Éleusis et des champs de Thria, les Athéniens avaient eu quelque espérance qu’elle ne s’avancerait pas davantage. Ils se rappelaient que, quatorze ans avant cette guerre, Plistoanox, fils de Pausanias, roi de Lacédémone, à la tête d’une armée de Péloponnésiens, avait fait aussi une invasion dans l’Attique, à Éleusis et à Thria, et était retourné sur ses pas sans pousser plus loin sa course[3]. Il est vrai qu’il avait été banni de Sparte sur ce qu’on pensait qu’il s’était laissé gagner par argent pour faire cette retraite. Mais quand ils virent l’ennemi autour d’Acharnes, à soixante stades de la ville, ils perdirent patience. On sent combien devait leur sembler terrible de voir leurs campagnes ravagées sous leurs yeux, spectacle nouveau pour les jeunes gens, et même pour les vieillards, excepté dans la guerre des Mèdes. Tous, en général, et sur-

  1. Seconde année de la quatre-vingt-septième olympiade, quatre cent trente-un ans avant l’ère vulgaire ; 26 juillet.
  2. Rhiti : c’était une source d’eau saumâtre : on la croyait produite par les eaux de l’Euripe qui filtraient par-dessous la terre. (Pausan. Attic.)
  3. Comme l’armée ennemie était nombreuse, Périclès, qui cherchait toujours à épargner le sang, ne voulut pas tenter le sort d’une bataille. Mais voyant que Plistoanax était fort jeune, et que les éphores lui avaient donné pour conseil un Lacédémonien nommé Cléandridas, il essaya de gagner ce dernier et parvint en effet à le corrompre par argent. Plisioanax, sur l’avis de Cléandridas, retira son armée : mais de retour à Sparte, les Lacédémoniens le condamnèrent à une amende si forte qu’il ne put la payer, et il fut obligé de quitter sa patrie : Cléandridas prit la fuite et fut condamné à mort. (Plut. Peric, tom. I, p. 362, édit. Lond.)